Une grande partie de la théorie économique repose sur l’utilitarisme. Jérémy Bentham, John Stuart Mill et Henry Sidgwick sont parmi les grands penseurs de la pensée utilitariste.
Définition de l’utilitarisme
L’utilitarisme est une doctrine qui se fonde sur l’idée que l’utilité est le critère d’évaluation des actions individuels et aussi des actions collectives. L’utilitarisme est une doctrine « conséquentialiste » : la valeur morale d’une action dépend de ses conséquences, pour l’individu et pour la collectivité. Le conséquentialisme s’oppose à l’approche déontologique de la morale, c’est-à-dire à une approche dans laquelle la morale est définit par rapport à des principes en termes de devoir.
Le conséquentialisme (et l’utilitarisme) est une règle de plus en plus utilisé pour évaluer les actions publiques. Tout le Droit, et surtout dans le système anglo-saxon, raisonne en termes conséquentialiste.
Utilitarisme et Ordre social de Jérémy Bentham
Présentation générale de l’utilitarisme de Bentham
Il vivait à Londres, il cherchait à trouver un fondement à la morale qui ne soit pas religieux « qui ne soit pas basé sur des principes à priori » et qui soit accepté par tous.
Son idée est de maximiser « terme inventé par Bentham » le plus grand bonheur du plus grand nombre. Il appartient au siècle deslumières, et l’un des plus grand philosophe des lumières est Kant.
Bentham est à cheval entre les lumières continentales et écossaises, mais serapproche plus des lumières écossaises, et il était proche des acteurs de la révolution française.
Il y a deux visions différentes qui opposent Kant et Bentham
- Kant : l’utilitarisme déontologique, l’utilitarisme de principe
C’est le fait de juger une action sur les principes, même si les conséquences augmentent le bien être du plus grand nombre, on ne doit ni tuer ni mentir parce que les principes l’interdisent. Même tuer un dictateur sanguinaire trônant sur une république bananière est mauvais.
- Bentham :L’utilitarisme du conséquentialisme
Le conséquentialisme de l’utilitarisme se trouve dans le fait qu’une action doit être jugée pour ses conséquences sur le bonheur du plus grand nombre. C’est-à-dire, ma recherche du bonheur s’arrête à partir du moment où elle diminue le bonheur d’un autre individu ou de celui du plus grand nombre, de la société ou communauté.
Comme la liberté individuelle se conçoit dans le respect de la liberté de l’autre et de la communauté, ma liberté s’arrête lorsqu’elle porte atteinte à la liberté de l’autre ou au bon fonctionnement de la société
Pour mesurer les conséquences, Bentham part du bonheur individuel, pour lui, la recherche du bonheur estun fait objectif. Tous les gens cherchent à être heureux et, plus précisément le bonheur « utilité pour les économistes » est définit par le plaisir et la fuite de la peine et de la douleur.
On peut déduire que l’analyse économique et l’utilitarisme sont conséquentialistes. Les conséquencesprévalent sur les principes en économie et dans l’utilitarisme.
Bentham cherche à construire ce qu’il appelle une arithmétique des plaisirs, il cherche à prouver comment mesurer, quantifier le plaisir que les individus retirent de ce qu’ils font. Le terme d’arithmétique des bonheurs est important, cela signifie qu’on peut évaluer objectivement le bonheur que les individus retirent de ce qu’ils font.
Il ne cherche pas à mesurer ce qui est bon ou utile à chaque individu, il cherche à mesurer ce qui est utile à la collectivité. Une action ne sera bonne que si elle contribue à l’augmentation du bonheur de la collectivité. Le bonheur de la collectivité est définit comme étant le bonheur du plus grand nombre.
Chaque fois qu’une décision doit être prise, l’utilitarisme exige que :
- On établisse les conséquences associées à toutes les options possibles
- On évalue les conséquences du point de vue de l’utilité (bonheur) des individus affectés
- On fasse l’agrégation de ces utilités individuelles.Et enfin, on choisit l’option qui est telle que la somme des utilités individuelles soient au moins aussi grande que la somme des utilités associées à chacune des autres options. Dans cette agrégation, tous les individus valent la même chose, c’est très égalitariste.
On prend deux individus A et B
L’utilitarisme ne s’intéresse qu’à la taille du gâteau à partager et non pas la manière dont le gâteau est partagé. Ce qui implique qu’on peut favoriser certaines personnes au détriment d’autres, et donc sacrifier certaines personnes « Le sacrifice de certains est justifié quand ce que gagne les gagnants est supérieur à ce perde les perdants »
Ce qui est important, ce n’est pas le nombre de personnes dont l’utilité est élevé, mais c’est le fait que ceux qui ont une utilité positive aient plus de gain que ce qui ont une utilité négative.
L’utilitarisme n’exclue pas les politiques de redistributions au sens où il est tout à fait possible de rajouter dans une deuxième étape des mesures redistributives pour compenser les résultats d’une mesure conséquentialiste.
- L’utilitarisme de la richesse : POSNER
L’idée est de maximiser la richesse de la collectivité et non pas le bonheur.
Mais comment se définit la richesse ? Elle se définit par la disposition à payer pour obtenir un bien qu’on n’a pas ou, la somme que l’on demande pour vendre le bien.
Mais la disposition à payer dépend de la capacité à payer. La maximisation de la richesse est donc de vendre un bien à la personne qui ala disposition maximale à payer.
Quelques précisions importantes
On étudie les conditions pour que l’utilitarisme Benthamien puisse fonctionner, or l’utilitarisme consiste à maximiser la somme des utilités individuelles, quelques problèmes qu’on peut évoquer :
Quels sont les individus que l’on doit prendre en considération lorsqu’on maximise l’utilité collective ?
Doit on prendre en compte l’humanité toute entière pour éventuellement étendre le calcul utilitariste à l’ensemble des êtres qui sont capables de ressentir du plaisir ou du bonheur ? Ou bien se limiter à un groupe particulier d’individus ?
La question de savoir s’il faut inclure les animaux dans le calcul du bien être utilitariste se pose aussi.
PETER SINGER est l’un de ceux qui ont fortement défendues l’idée d’inclure les individus (arbre, animaux) dans le calcul utilitariste.
Michel SERRES aussi défend cette idée.
Cette idée ne signifie pas qu’il ne faille pas faire de mal aux animaux, mais si tuer un animal permet d’augmenter le bonheur de l’humanité, alors ce sacrifice est acceptable.
Le dilemme moral : Tramway qui n’a plus de frein, doit on actionner l’aiguillage et tuer une personne, ou ne pas actionner l’aiguillage et tuer 5 personnes ? La solution utilitariste sera de faire le lien entre les avantages et les coûts et recommandera d’actionner l’aiguillage et tuer une personne.
Comment agréger les utilités individuelles ?
Bentham : On fait une somme simple, car tous les hommes se valent.
John Stuart Mill : On fait une moyenne, et on cherche à obtenir l’utilité par tête la plus élevée
De quelle utilité parle l’utilitarisme ?
Bentham : Il a une vision Hédoniste de l’utilitarisme, il parle des plaisirs et des douleurs dans le sens matériel. On retrouvera cet hédonisme chez JEVONS.
Mill : Il hiérarchise les plaisirs et considère que les plaisirs intellectuels ont plus de valeur que les plaisirs matériaux.
La comparaison interpersonnelle des utilités :
Pour pouvoir agréger les utilités, il faut pouvoir les mesurer et les comparer. Tous les individus sont capables d’évaluer des utilités et de les comparer aux utilités d’autres personnes, ce calcul reste à la fois intuitif ou implicite et parfaitement individuel, or l’utilitarisme a une dimension collective, dans ce cas on doit disposer d’instrument rigoureux, précis pour comparer les utilités individuelles.
Pour Bentham, les utilités individuelles sont mesurables et comparable, donc la difficulté de ce calcul ne se pose pas.
Il propose d’utiliser la monnaie pour faire la comparaison. L’utilité se mesure par la disposition des individus à payer un bien.
En donnant cette proposition, Bentham inventele concept de coût d’opportunité‘’mesure de l’utilité que l’on ressent lorsqu’on consomme un bien’’
Les quatre difficultés sont plus ou moins résolues par Bentham, mais il reste des limites ou des problèmes importants pour l’utilitarisme.
Le rôle des législateurs
Bentham se distingue d’Adam Smith dans le sens où il ne croit pas du tout à la main invisible, à l’harmonie naturelle des intérêts et à l’ordre spontané. C’est à dire qu’il ne pense que les individus vont agir spontanément de manière à maximiser le plus grand bonheur du plus grand nombre.
- La différence entre Smith et Bentham :
Smith : Le marché n’a pas d’objectif particulier, il a une vision du marché presque déontologique. L’important pour lui, c’est de ne pas intervenir dans le fonctionnement du marché.
En l’absence d’intervention, tout le résultat obtenu par le marché sera légitime, donc l’intervention délégitime le résultat obtenu par le marché.
On a donc une approche procédurale, on ne juge pas un état par rapport au résultat, mais par rapport à la procédure.
Bentham : ça n’est pas la procédure qui importe, mais l’objectif. Cet objectif ne peut pas être atteint de manière spontanée.
Pour Bentham, la réconciliation entre la poursuite des intérêts personnels et des intérêts collectifs ne peut se faire que de manière artificielle, c’est à dire par la loi, par un système de sanction et de récompense qui est institutionnalisé.
Le législateur ou le juge doit prendre des mesures de façon à dissuader les individus d’agir contre le bien être collectif et de façon à inciter d’autres individus à agir en faveur du bien être collectif.
Cette doctrine est toute sauf favorable à la liberté, tout est organisé autour de l’utilité.
Bentham a écrit « PANOPTIQUE » dans lequel il explique comment il faut organiser la société pour maximiser le bien être.
Le PANOPTIQUE est un modèle de prison dans lequel il explique comment rééduquer les individus pour qu’ils agissent en faveur du bien être.
Dans le PANOPTIQUE, les prisonniers savent qu’ils sont surveillés, mais ils ne voient jamais le surveillant. C’est l’idée d’être surveillé qui conduit les individus à bien se tenir « le genre de bigbrother ».
Toute l’architecture carcérale du XIX è siècle est influencéepar le PANOPTIQUE.
L’héritage de la pensée BENTHAMIENNE dans l’économie
Il n’est pas vrai de dire que Bentham est l’un des précurseurs de la théorie microéconomique au motif qu’il parle de l’utilité, car dans l’utilitarisme, il y a la dimension collectiviste qui est éloignées des préoccupations des microéconomistes.
Il a influencé certains marginalistes dont JEVONS puisque JEVONS adhère à la conception hédoniste de Bentham et fonde son calcul marginaliste sur l’idée de plaisir et de douleur comme chez Bentham.
Il y a deux différences très importantes entre JEVONS et Bentham :
- L’utilité est subjective et n’est pas une caractéristique des objets, les objets ne sont pas utiles à eux-mêmes.
- JEVONS ne cherche pas à construire une théorie morale contrairement à Bentham.
- Fin XIX début XX, les économistes ont cherché à se démarquer des utilitaristes, en particulier, en abandonnant la conception cardinale des utilités et en abandonnant la nécessité de pouvoir comparer les utilités.
C’est Pareto qui a abandonné le besoin de comparer les utilités qu’il a remplacé par l’optimum de Pareto.
Très grande différence entre le concept d’utilité chez les économistes et le concept d’utilité chez Bentham :
Bentham : un individu va choisir l’action A plutôt que l’action B, si l’utilité de A>B. dimension causale chez Bentham.
Economistes : la dimension causale n’existe plus, car les économistes ont introduits le concept de préférences. Un individu fera A plutôt que B parce qu’il préfère A plutôt que B. l’utilité n’est pas causée par les préférence mais est juste représentée par les préférences.
Les économistes ne cherchent pas à expliquer pourquoi l’individu préfère A plutôt que B, mais cherchent à expliquer pourquoi l’individu consomme A plutôt que B.
L’utilitarisme de John Stuart Mill
Né en 1806, mort en 1873, John Stuart Mill est considéré comme le penseur du couronnement de l’école Classique : il a synthétisé et modernisé les thèses de l’école Classique. Il a aussi modernisé l’utilitarisme de Bentham, par la distinction notamment entre les Peines et
Plaisirs physiques et intellectuelles.
John Stuart Mill est le fils de James Mill, philosophe utilitariste, ami de Bentham, et partageaient entre eux une idée précise de l’éducation : les individus sont le produit de leur environnement/éducation.
A leur naissance, les Hommes sont tous identique, et c’est l’éducation qui les forme. James a décidé de façonner son fils en lui donnant une éducation très poussée. Il sera considéré comme étant « la vieille femme qui sait tout ».
A 14 ans, John Stuart Mill apprend la chimie et la zoologie à la faculté de Sciences de Montpellier, et, en 1851, il se marie à Ariette
Taylor.
Un apport méthodologique sur l’économie
Il écrit en 1843 un ouvrage intitulé Système de Logique Déductive et Inductive. Parmi ces idées, J.S. Mill avait une grande admiration pour Auguste Comte, fondateur du Positivisme. La sociologie est définie comme étant une science générale de la société, reposant sur l’étude des faits sociaux et l’expérimentation. Pour J.S. Mill, la connaissance scientifique n’est possible qu’a postériori, c’est-à-dire quand elle peut appuyer ces conclusions sur l’expérimentation.
Pour J.S. Mill, l’économie est une science morale qui ne peut pas avoir recours à l’expérimentation. Elle ne peut pas utiliser de méthode scientifique, mais l’économie reste une science, dans le sens où, contrairement à l’éthique ou la philosophie, elle se limite à un aspect
des comportements humains : L’acquisition de Richesses. L’économie (politique) étudie les faits sociaux qui se produisent en vue de l’acquisition des Richesses.
En supposant que l’Homme préfère plus de Richesse à moins de Richesse, alors on peut utiliser une méthode scientifique : la vérification expérimentale. Par conséquent l’économie est bien une science selon J.S. Mill, mais pas aussi exacte que la sociologie.
La théorie économique de J.S. Mill
L’un des éléments les plus importants concerne la distinction entre la production et la distribution des Richesses. Cette distinction est importante car elle est caractéristique d’une certaine éthique libérale.
D’une part, nous avons la production, qui obéit à des lois naturelles qui ont les mêmes caractéristiques que les lois physiques. D’autre part, la distribution est une institution humaine, elle est le produit de la volonté des Hommes.
La société peut alors très bien décidé que la production des Richesses n’est pas bonne et donc corrigé la manière dont les Richesses ont été produites. Il y a donc des lois inéluctables qui règlent le fonctionnement de l’économie mais on peut changer le résultat de ces lois.
Ce résultat est fondamental pour deux raisons :
- Les Hommes peuvent changer le cours de l’Histoire
- C’est assez différent de l’idée de main invisible.
Ce sont les Hommes eux-mêmes qui décident de ce qu’est une distribution des Richesses juste ou bonne.
Il y a un élément normatif important dans la pratique : l’économiste ne peut pas se contenter de décrire ce qui est, d’avoir une vision « positive » ; l’économiste doit aussi juger ou permettre de juger cet état des choses. Cet élément normatif chez J.S. Mill est l’une des
caractéristiques son approche et on le retrouve dans la plupart de ses réflexions sur les travaux de ses prédécesseurs.
Il faut relier ce point de normativité de chez Mill à la synthèse qu’il a effectué sur la pensée de l’école Classique. Parce qu’il a réalisé cette synthèse que Mill est considéré comme le grand penseur de l’école Classique. Toute cette synthèse qui est présenté dans son ouvrage de 1848 s’appuie sur des jugements de valeurs.
Mill repend la théorie de la rente différentielle de Malthus et Ricardo mais en la jugeant, et en la qualifiant de « surplus non gagné » et il plaide pour une confiscation de la plus-value foncière par l’Etat.
En matière de théorie du salaire, J.S. Mill adopte la même théorie qu’Adam Smith basé sur l’existence d’un fond de salaire : cette théorie dit que la masse salariale est prédéterminée par le montant des capitaux, accumulés par les capitalistes, et engagés dans le processus de production.
Cette masse salariale est égale à l’épargne, laquelle fonde totalement les capitaux utilisés dans le processus de production. Le salaire moyen ici est déterminé par le rapport entre les capitaux accumulés et le nombre de travailleurs.
Dans cette théorie des fonds de salaires, la productivité du travail n’a aucun impact sur le salaire, les institutions non plus : Le salaire est un résidu.
Mill admettra plus tard que d’autres facteurs pouvaient influencer les salaires comme les anticipations des travailleurs ou des facteurs institutionnels. Il synthétise une fois encore la conception de plusieurs économistes classiques, comme Smith, avec la théorie du fond de salaire ou Malthus pour l’anticipation des travailleurs.
Mill accepte le principe des populations de Malthus, il est favorable au contrôle des naissances pour réguler les variations de population mais ne pense pas que les individus, et surtout les pauvres, soit incapable de contrôler leur comportement : il pense que les individus ont conscience du besoin de contrôler le nombre de leur enfant.
La raison joue un rôle dans les comportements individuels même en matière d’évolution de la population.
J.S. Mill reprend l’idée que la baisse des taux de profit conduit à un état stationnaire mais ne considère pas que l’état stationnaire soit une mauvaise situation, voire enviable.
La concurrence entre les individus a disparu, et dans l’état stationnaire, quand plus personne n’aspire à devenir riche alors la société a atteint son optimum. Mill a une vision « qualitative » du progrès : le progrès, c’est arriver à cette situation de plein harmonie, sans concurrence.
La doctrine libérale de J.S. Mill
Le libéralisme de Mill est tout à fait paradoxal, différent des autres économistes Classiques. Il croît dans la liberté individuelle et la nécessité de respecter cette liberté, mais il admet que l’on puisse intervenir dans le fonctionnement de la société, que l’on puisse corriger l’évolution naturelle des sociétés, en particulier, si le plus grand Bonheur du plus grand nombre n’est pas atteint alors l’intervention de l’Etat est tout à fait légitime pour corriger ces lois naturelles.
Certains l’ont rapproché du socialisme à cause de sa volonté de légitimer l’intervention de l’Etat. Il est assez intéressant de voir que le plus grand économiste Classique est celui qui a transformé le libéralisme de cette école.