Nous proposons dans cet article de donner une définition, une étendue et un contenu au champ disciplinaire émergent qu’est le neuromarketing. En s’appuyant sur les premiers travaux scientifiques réalisés, les premières applications managériales sont envisagées après examen des critères éthiques.
Le Neuromarketing mis en contexte
Le terme « neuromarketing » suscite l’imagination et pose, a priori, une foule de questionnements, tout d’abord sur la signification même du terme, mais également sur l’état d’avancement des connaissances, les applications possibles et les enjeux éthiques qui y sont associés.
S’il est difficile de trouver une définition qui rende justice au concept ou à cette activité, en revanche, de nombreux articles discutent d’applications possibles et présentent des interrogations légitimes. Mais tout d’abord, voici un aperçu de ce qu’est le neuromarketing.
Devançant les gestionnaires de quelques années, les économistes ont été les premiers à avancer le terme de « neuroeconomie », dont la raison d’être était de mieux comprendre, à la suite des travaux de Kahneman et Tversky (Tversky et Kahneman, 1974), les processus de décision des agents économiques à l’aide des approches de la psychologie cognitive et des neurosciences.
D’emblée, les économistes se sont approprié les approches neuroscientifiques portant sur des comportements individuels de préférence ou d’achat. L’économique étant moins suspecte de « sombres desseins mercantiles » que le marketing, la « neuroeconomie » apparait alors plus respectable dans les milieux de l’information.
On pourrait facilement transposer le propos dans un contexte marketing, en posant que le neuromarketing est un champ interdisciplinaire émergent, qui recourt aux techniques de neuro-imagerie pour identifier les substrats neuraux associes aux décisions et aux comportements du consommateur.
II s’agirait donc d’un nouvel outil destiné à éclairer de manière plus objective les processus cognitifs et intentionnels du consommateur face à des offres marchandes.
Cependant, remarquant le caractère réducteur de cette approche nous soumettons une autre définition, qui entraine d’autres implications philosophiques et épistémologiques : «Le neuromarketing est l’étude des processus mentaux, explicites et implicites, et des comportements du consommateur, dans divers contextes marketing concernant aussi bien des activités dévaluation, de prise de décision, de mémorisation ou de consommation, qui se réclame des paradigmes et des connaissances des neurosciences cognitives et affectives ».
Autrement dit, nous ne souscrivons pas à la version « faible » du neuromarketing qui consisterait en une simple appropriation de méthodologies et de techniques objectives visant à quantifier et visualiser des phénomènes cognitifs, mais bien au contraire, nous adhérons a une version « forte », selon laquelle c’est le contexte intellectuel et paradigmatique global des neurosciences qui s’applique à des contextes particuliers et circonscrits de l’activité humaine, seule ou en interaction sociale.
En ce sens, le neuromarketing contribue – à l’instar de la neuropsychologie cognitive ou de la sociobiologie – à l’élargissement et l’accumulation des connaissances relatives aux relations esprit-cerveau, tout en conservant parallèlement une finalité pratique dans la vie des affaires.
Ceci n’est pas sans soulever des problèmes épistémologiques au sein de la discipline comme nous l’avons évoqué supra.
Le Neuromarketing : Une réponse aux limites du marketing traditionnel
Le Neuromarketing est le fait d’appliquer les techniques et les savoirs issus des neurosciences au comportement du consommateur.
En étudiant le fonctionnement du cerveau de son client, l’entreprise peut considérablement augmenter la connaissance qu’elle a de son consommateur. Elle pourra mieux le comprendre et ainsi lui proposer des produits et des services qui seront plus en adéquation avec ses besoins et ses envies.
Le Neuromarketing utilise l’imagerie par résonnance magnétique (IRM) afin d’expliquer ce qui se passe dans le cerveau lorsqu’on utilise un produit ou lorsqu’on regarde une publicité. De cette façon, les experts analysent les parties du cerveau qui sont stimulés.
Cela est d’autant plus pertinent que chaque partie du cerveau correspond à quelque chose de précis : l’émotion, la colère, la mémoire, etc. et l’on peut donc savoir exactement ce qu’un stimulus provoque comme réaction chez le sujet.
En effet, le marketing traditionnel rencontre de nombreux obstacles que les neuromarketeurs pensent pourvoir résoudre grâce aux neurosciences.
Premièrement, le marketing est imprécis. Expliquons-nous. A travers les méthodes de recherche traditionnelles tels les groupes de paroles, le questionnaire, les interviews, les marchés fictifs, les préférences et le comportement des acteurs sont mal retranscrits.
A partir du moment où la situation est artificielle, où l’être humain se sent observé, son comportement et son attitude va différer même, et surtout, inconsciemment. Les marqueteurs ne peuvent donc pas observer et comprendre le comportement de leurs clients des lors que les clients le savent.
Une solution plus radicale serait donc d’espionner ces derniers à leur insu lors de leur décision d’achat ainsi que pendant l’usage de leur produit. Et même un bébé dinosaure peut se rendre compte du problème éthique que cela soulève. On peut effectivement dire que l’individu est incapable d’exprimer sa réalité lors d’une enquête marketing traditionnel.
Les Neuromarketeurs décident donc d’aller puiser l’eau directement à la source : ils cherchent la Vérité directement dans le cerveau des consommateurs. En évitant de créer une situation artificielle où le sujet ne pourra qu’exprimer qu’une version biscornue de la réalité, le chercheur va analyser les réactions du cerveau de son cobaye en train de visualiser ou d’accomplir réellement, mais mentalement, l’acte d’achat ou de consommation.
Grace aux méthodes utilisées dans les neurosciences, le biais de « La tierce personne » a été considérablement réduit, voire supprimer.
En effet, l’interrogé, ne faisant face qu’à d’ennuyantes machines ne sera plus tenter de déformer ses propos afin de séduire celui ou celle qui lui pose des questions sur sa vie quotidienne. Et parfois des questions trop personnelles.
Qui dévoilerait au premier rendez-vous avec sa belle les raisons pour laquelle il achète du papier toilette parfumé à la rose ? Inconsciemment, nous faisons en sorte que nos réponses plaisent à notre interlocuteur. Ou déplaise. Mais dans tous les cas, elles ne sont pas honnêtes. Grace au neuromarketing, la tierce personne a été supprimée.
Nous pouvons donc théoriquement accéder à des données plus justes car l’individu ne sera pas jugé par son interlocuteur, ou du moins, il ne le soupçonnera pas.
De plus, le langage que nous utilisons pour communiquer aujourd’hui est imparfait. En effet, combien de fois nous arrive-t-il de dire des phrases comme : « Il n’y a pas de mot pour dire ce que je ressens » ou « Je ne peux décrire comme c’est beau » ou « C’est tellement horrible qu’il n’y a pas de mot ». De fait, le langage ne permet pas d’exprimer nos émotions de façon juste et les mots ne retranscrivent que mal le ressenti.
Les émotions ne sont pas mesurables. De la même manière que les mots expriment mal les émotions, les échelles de valeurs proposées pour mesurer leur intensité sont inadaptées et ne correspondent pas à la réalité du fonctionnement de notre cerveau.
C’est donc plus astucieux de comprendre ce que ressent un individu en étudiant les stimulations de son cerveau. L’individu n’a plus besoin d’essayer de se comprendre, l’Entreprise le fait pour lui.
L’IRM enregistre donc une réponse directe, non déviée, non transformée et non atténuée par la parole ou par un intermédiaire.
Le neuromarketing permettra d’éclairer les chercheurs sur le Graal du marketing : Le processus de décision pour l’achat. Le marketing traditionnel a déjà permis d’établir de nombreuses théories sur les différentes étapes de ce processus, mais la réalité montre qu’aucune d’entre elles ne se sont révélés parfaitement exactes.
Les Neuromarketeurs espèrent pouvoir analyser, grâce aux neurosciences, les émotions des individus étudiés afin de déterminer les éléments qui conditionneraient leur acte d’achat. Si le processus de décision d’achat est identifié parfaitement cela permettrait aux entreprises de prédire le choix que feront les consommateurs dans le magasin de manière quasiment infaillible et elles pourront ajuster leur stratégie marketing en fonction.
Mais le Neuromarketing détient un dernier avantage sur le marketing traditionnel et il est loin d’être le moindre. En effet, pour mener une étude de marketing traditionnelle il faut au préalable que l’entreprise et ses chercheurs aient développé un produit ou un service à mettre sur le marché.
Bien entendu ces nouveautés sont le plus souvent élaborées à la suite d’études indiquant les préférences de consommateurs, avec tous les biais que cela comporte, comme on a pu voir précédemment.
Cependant la satisfaction client ne pourra être mesuré qu’une fois le produit existant. Avec le Neuromarketing, le produit n’aura plus besoin d’exister physiquement pour que le marqueteur puisse évaluer la satisfaction qu’éprouve le client par rapport à la nouveauté. Il suffira que le consommateur se l’imagine et se le représente mentalement.
L’IRM permettra ensuite d’identifier quelles parties du cerveau ont été stimulés et les chercheurs détermineront si ce schéma entrainera l’acte d’achat ou non. De ce point de vie le neuromarketing permettra de palier à l’inexactitude des études de marché actuelles.
En effet aujourd’hui, sur 10 nouveaux produits mis sur le marché suite à une réussite plausible d’après les techniques de marketing actuelles, 9 échouent durant la première année. En d’autre termes, 90% des produits sont retirés des rayons moins d’un an après leur lancement.
Non seulement le Neuromarketing éviterait des dépenses et des pertes colossales d’argent du au lancement de mauvais produits mais il permettrait d’augmenter la satisfaction client car les produits finaux correspondraient parfaitement aux envies des consommateurs car ils auront été ajusté à leurs préférences tout au long de leur processus de conception.
Etats des lieux de la situation actuelle
A ce jour, l’étude de neuromarketing la plus connu reste celle de Pepsi vs Coca-Cola de 2004.
Cette expérience fut conduite en deux étapes. Premièrement les interrogés goutèrent, sans pouvoir les différencier visuellement, un verre de Coca-Cola, puis un verre de Pepsi. A ce moment- là, la « zone de la récompense » fut stimulée plus intensément lorsque les participants buvaient du Pepsi que du Coca-cola. En d’autres termes, ils éprouvaient plus de plaisir en consommant du Pepsi.
Cependant, lors de la deuxième phase de l’expérience, les consommateurs savaient s’ils buvaient du Coca ou du Pepsi. On observa donc que lorsque les consommateurs savouraient le Coca-cola, une autre zone du cerveau fut stimulée : la zone de l’émotion et de la mémoire. Cette zone ne fut pas stimulée lors de la consommation de Pepsi.
Il fut conclu que la préférence pour le Coca-cola fut plus influencée par l’image de marque que par le goût en soi.
Cette expérience ce neuromarketing est, comme dit au-dessus, la plus connu depuis son développement dans les années 2000. Cependant, il est important de noté que cette expérience démontra surtout l’efficacité de la stratégie marketing traditionnelle de Coca-Cola, qui rendu cette image de marque si puissante.
Le Neuromarketing est aujourd’hui utilisé dans tous les domaines où le marketing traditionnel est utilisé régulièrement aujourd’hui.
En effet, cette nouvelle technique de recherche a été appliquée aux biens de grande consommation, comme vu au-dessus avec le cas Pepsi – Coca, aux biens semi-durables comme par exemple l’automobile ou la machine à laver, et aussi aux biens industriels.
Les champs d’application du neuromarketing sont en pleine expansion aujourd’hui. En effet, aux Etats-Unis, quelques banques se sont déjà emparées de cette nouvelle technologie pour améliorer la manière de présenter les différentes formules de prêt qu’elles proposent.
Il faut espérer que cette innovation ne conduira pas à une nouvelle crise financière, comme on l’a observé à cause des sub-primes, en poussant les individus à contracter des crédits sans les ressources nécessaires pour y faire face.
Aujourd’hui en France le neuromarketing est cependant très peu utilisé. En effet, une des première raisons à cet engouement que trop léger du point de vue de certains est le simple fait que le nombre de machines IRM disponibles en France est trop faible.
Par ce fait, elles sont réservés prioritairement à un usage strictement médicales et il est donc inenvisageable aujourd’hui de penser à la location de ces machines à des fins marketings, bien contrairement aux Etats-Unis qui possède un nombre important de ces machines.
Toujours selon le chercheur Olivier Ouiller, un test neurologique à des fins marketings coûterait en moyenne, aujourd’hui aux alentours de mille dollars par personne. Ce serait à priori la première raison pour laquelle le neuromarketing n’est utilisé que par une centaine d’entreprises dans le monde à l’heure actuelle.
Cependant, il est très compliqué de faire actuellement un état des lieux des entreprises ayant ce genre de pratique. En effet, les sociétés, en général n’avouent pas avoir recours au neuromarketing pour la conception ou la promotion de leurs produits car elles ont bien conscience que cela « nuiraient à leur image ».
C’est bien la preuve que même si elles en sont adeptes, ces entreprises savent que ces pratiques posent un large problème éthique.
Le Neuromarketing: Une menace à identifier
L’application des techniques de neuro-imagerie à des sujets d’études jugés délicats peut indirectement porter préjudice à la recherche marketing qui emploierait les mêmes moyens d’investigation. On pourrait citer l’exemple du marketing politique (états émotionnels de Républicains vs. Démocrates).
Faut-il craindre les manipulations de cerveau comme le laissent entendre certains journalistes ? Le fait d’observer (au niveau macroscopique) n’a jamais influe ou modifie le sujet de l’observation. Affirmer que la découverte de certaines activations cérébrales sous certains stimuli commerciaux est le premier pas vers une manipulation pure et simple, relevé de l’affabulation ou de l’ignorance.
On sait que plus de 85% de nos actions quotidiennes sont irrationnelles ; nous les exécutons sans savoir pourquoi. Le Neuromarketing peut nous dire pourquoi nous agissons, alors bien sûr, certains – comme Martin Lindstrom, l’auteur du best-seller Buy-ology – s’empresseront d’affirmer que « By better understanding our own irrational behavior, we actually gain more control, not less. Because the more we know about why we fall prey to the tricks and tactics of advertisers, the better we can defend ourselves against them ». La belle histoire.
N’oublions pas que ce n’est pas Monsieur Tout le monde, Madame Tout le monde et leur chien qui iront pour quelques dizaines de milliers d’euros faire cartographier leur activité cérébrale.
Ce seront des entreprises comme Unilever ou P&G qui le feront ; et cela dans un seul but : le profit. En considérant l’ampleur de l’investissement, quel serait l’intérêt pour une entreprise neuromarketrice de partager sa compréhension du fonctionnement cérébral des individus ?
Le neuromarketing reste du marketing, une science des secrets où la valeur de la découverte reste corrélée au ratio poids de l’investissement de recherche et possibilité d’augmentation du profit.
Le neuromarketing apportera bel et bien une meilleure compréhension du fonctionnement des individus. Cependant, au risque de décevoir Mr. Lindstrom, ce seront essentiellement les entreprises dans un premier temps qui auront bénéfice de ces découvertes.
Conclusion
Générer des désirs, de l’envie, pour nous faire acheter des produits dont nous n’avons pas forcément besoin, c’est depuis toujours les préoccupations de la pub et plus largement du marketing.
Mais les grandes marques disposent maintenant de méthodes beaucoup plus intrusives, grâce au progrès des neurosciences sur le fonctionnement de notre cerveau en l’occurrence « Le neuromarketing », qui selon notre point de vue, représente bel et bien une entorse à l’éthique.
Effectivement, que ce soit par le viol du serment d’Hippocrate, la monopolisation bourgeoise de machines rares ou bien par un traitement rastérisant des sujets d’études, la perceuse neuromarketrice entame aujourd’hui une douloureuse percée dans le cerveau humain.