L’économie comportementale

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La science économique étudie le comportement humain, mais ce n’est certainement pas la seule discipline qui peut prétendre le faire. La psychologie également jette son éclairage sur les choix que les individus font tout au long de leur vie.

Ces deux disciplines adoptent généralement une démarche autonome, en partie parce que chacune traite d’un ensemble de questions qui lui sont propres.

Toutefois, une discipline nommée économie comportementale (behavioral economics, en anglais), caractérisée par le fait que des économistes recourent à des notions fondamentales de psychologie, a fait son apparition vers la fin du xxe siècle.

Définition de l’économie comportementale

L’économie comportementale est l’étude de l’influence des émotions et des facteurs personnels propres à chaque individu, dans la prise de décisions économiques. Il s’agit d’une approche différente des anciens modèles qui percevaient la prise de décision comme un comportement rationnel (recherche du gain avant tout).

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En effet, cette nouvelle approche inclut la part psychologique et le cadrage dans les comportements afin de démontrer la nature irrationnelle, subjective et variable des comportements, même dans un domaine aussi sérieux que l’économie.

Pourquoi l’économie comportementale ?

L’économie comportementale cherche à démontrer que l’humain est influencé par l’environnement qui l’entoure, ses origines, son profil psychologique… Cela ouvre un nouveau champs d’étude pour l’économie et permet de mieux comprendre les mécanisme décisionnels qui poussent les acteurs du marché économique à agir de telle ou telle façon.

L’économie comportementale peut donner des pistes pour mieux appréhender les comportements humains notamment lors de crises, ou de mouvement économique ou financier conséquents.

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Nous allons maintenant effaminer quelques-unes de ses idées.

Les individus n’agissent pas toujours de façon rationnelle

La théorie économique accueille en son sein une espèce humaine un peu particulière, parfois appelée Homo œconomicus. Les membres de cette espèce agissent toujours de façon rationnelle. En tant que dirigeants d’entreprise, ils maximisent les profits.

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En tant que consommateurs, ils maximisent l’utilité (ou, ce qui revient au même, ils choisissent le point situé sur la courbe d’indiférence la plus élevée). Compte tenu des contraintes qu’ils affrontent, ils soupèsent rationnellement tous les coûts et tous les bénéfices et ils font ensuite les meilleurs choix possible.

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Or, les gens ordinaires font aussi partie de l’espèce Homo sapiens. Si, à maints égards, ils ressemblent aux individus rationnels et prévoyants que postule la théorie économique, ils sont toutefois beaucoup plus complexes qu’eux. Il leur arrive d’être distraits, impulsifs, confus, émotifs et peu perspicaces.

De telles imperfections de la raison humaine sont l’objet du travail quotidien des psychologues, mais elles avaient été négligées jusqu’à tout récemment par les économistes.

Herbert Simon, l’un des premiers spécialistes en sciences humaines dont le travail se situe à la frontière des sciences économiques et de la psychologie, estime que les humains devraient être considérés comme des êtres recherchant non pas la maximisation rationnelle de leur utilité, mais bien la satisfaction de leurs désirs. Plutôt que de toujours faire le meilleur choix possible, ils prennent simplement les décisions qu’ils jugent sufsamment bonnes.

De façon analogue, d’autres économistes estiment que les humains sont seulement « presque rationnels » ou qu’ils font preuve d’une « rationalité limitée ».

Les auteurs de certaines études de la prise de décisions chez les humains ont tenté de repérer diverses erreurs systématiques que commettent les individus.

Voici quelques-uns des résultats obtenus :

  • Les individus sont présomptueux

Supposons qu’on vous demande de répondre à quelques questions d’ordre quantitatif, comme le nombre d’États africains qui sont membres de l’ONU, l’altitude de la plus haute montagne en Amérique du Nord, etc.

Cependant, plutôt que de vous demander un nombre précis, on vous demande de donner une estimation dont l’intervalle de confiance est de 90 %, c’est-à-dire une fourchette telle que vous estimez à 90 % la probabilité que la bonne réponse s’y trouve.

Lorsque des psychologues procèdent à des expériences de ce type, ils constatent que la plupart des personnes mentionnent une fourchette trop étroite : la bonne réponse se trouve dans la fourchette à une fréquence nettement inférieure à 90 %. Ce qui signifie que la plupart des individus sont présomptueux à leur propre sujet.

  • Les individus accordent trop d’importance à un petit nombre d’observations frappantes :

Supposons que vous songiez à faire l’achat d’une voiture de marque X. Pour en savoir davantage sur sa fiabilité, vous consultez la revue Protégez-vous, qui vient de faire une enquête auprès de 1 000 propriétaires de la voiture de marque X.

Puis vous croisez une amie qui possède justement une voiture de marque X et qui vous dit que sa voiture est de très mauvaise qualité. Que pensez-vous du commentaire de votre amie ? Si vous adoptez une démarche rationnelle, vous allez comprendre que le commentaire de votre amie fait passer de 1 000 à 1 001 la taille de votre échantillon, ce qui n’apporte pas beaucoup d’information nouvelle.

Or, comme le commentaire de votre amie est assez frappant, vous êtes enclin à lui accorder plus d’importance qu’il devrait en avoir dans la prise de votre décision.

  • Les individus sont réticents à changer d’avis :

Les individus ont tendance à donner aux faits une interprétation qui confirme leurs convictions préétablies. Dans le cadre d’une étude, on a demandé aux sujets de lire et d’interpréter un rapport de recherche qui visait à établir si la peine de mort avait ou non un caractère dissuasif à l’égard de la criminalité.

Après avoir lu le rapport, ceux qui étaient initialement favorables à la peine de mort ont afrmé que le rapport confirmait leur opinion, et ceux qui étaient initialement opposés à la peine de mort ont également dit que le rapport confirmait leur opinion. Les deux groupes de personnes ont donné aux mêmes faits des interprétations diamétralement opposées.

Songez à certaines décisions que vous avez prises par le passé. Présentent-elles quelques-uns de ces traits ?

Vous vous demandez peut-être pourquoi la science économique se fonde sur l’hypothèse de rationalité, alors même que la psychologie et le sens commun la remettent clairement en question. On peut ici répondre que même si elle n’est pas parfaitement juste, cette hypothèse constitue néanmoins une bonne approximation.

Par exemple, lorsque nous avons examiné les différences entre une firme concurrentielle et un monopole, l’hypothèse selon laquelle les entreprises maximisent rationnellement leurs profits a donné de nombreux résultats valides et importants.

les modèles économiques ne visent pas à reproduire la réalité, mais bien à révéler la nature profonde du problème examiné afin d’en favoriser une meilleure compréhension.

De même, si les économistes tiennent si souvent pour acquise la rationalité, c’est peut-être parce qu’ils ne recherchent pas toujours eux-mêmes la maximisation rationnelle de leur utilité. Comme la plupart des individus, ils sont présomptueux et réticents à changer d’avis. Leur choix entre différentes théories du comportement humain peut s’expliquer par une inertie excessive.

En outre, les économistes se contentent peut-être d’une théorie qui n’est pas parfaite, mais qui est suffisamment bonne à leurs yeux. Le modèle de l’homme rationnel peut être la théorie de prédilection d’un chercheur en sciences humaines qui recherche la satisfaction de ses propres désirs.

Les individus se soucient de l’équité

Un autre trait du comportement humain est très bien illustré à l’aide d’une expérience nommée jeu de l’ultimatum. Voici comment se déroule ce jeu : deux volontaires (qui ne se connaissent pas) sont invités à jouer à un jeu à l’issue duquel ils pourraient gagner 100 $. On leur explique ensuite les règles du jeu.

Ils tirent d’abord à pile ou face pour déterminer qui sera le joueur A et qui sera le joueur B. La tâche du joueur A consiste à proposer une répartition des 100 $ entre lui-même et l’autre joueur. Après que A a fait sa proposition, le joueur B doit décider s’il l’accepte ou la refuse.

Si B accepte la proposition, chaque joueur reçoit la somme respective prévue dans ce cas. Si B refuse la proposition, les deux joueurs ne reçoivent rien du tout. Dans les deux cas, le jeu se termine là.

Avant d’aller plus loin, réféchissez à ce que vous feriez dans une telle situation.

Si vous étiez le joueur A, quelle répartition des 100 $ proposeriez-vous ? Si vous étiez le joueur B, quelles propositions accepteriez-vous ?

La théorie économique standard postule que dans une telle situation, les individus tentent rationnellement de maximiser leur utilité. Ce postulat débouche sur une prédiction simple : le joueur A devrait proposer de conserver 99 $ et de remettre 1 $ au joueur B, et le joueur B devrait accepter une telle proposition.

Après tout, une fois la proposition faite, le joueur B a intérêt à l’accepter dans la mesure où il obtient une somme d’argent quelconque. De plus, puisque le joueur A sait que le joueur B a intérêt à accepter la proposition, il n’a aucune raison de lui offrir plus de 1 $. Exprimée dans le vocabulaire de la théorie des jeux, la répartition 99-1 correspond à un équilibre de Nash.

Pourtant, lorsque des économistes demandent à des individus de jouer au jeu de l’ultimatum, les résultats obtenus sont très différents de la prédiction théorique. Les personnes jouant le rôle du joueur B refusent habituellement toute proposition qui leur accorde 1 $ ou une petite somme semblable.

Sachant cela, les personnes qui jouent le rôle du joueur A offrent généralement au joueur B beaucoup plus que 1 $. Certains vont même jusqu’à proposer une répartition moitié-moitié, mais le plus souvent, le joueur A offre au joueur B une somme de l’ordre de 30 $ ou 40 $ et conserve le reste. Dans un tel cas, le joueur B accepte habituellement la proposition.

Comment expliquer ce phénomène ? L’interprétation courante est que les individus sont infuencés en partie par un certain sens inné de l’équité. Une répartition de 99-1 semble si outrageusement inéquitable pour beaucoup de personnes que celles-ci la rejettent complètement, même à leur propre détriment. Par contre, une répartition de 70-30 demeure inéquitable, mais pas au point d’amener les individus à renoncer à leur intérêt personnel normal.

Tout au long de notre étude du comportement des ménages et des entreprises, le sens inné de l’équité en a été absent. Toutefois, les résultats du jeu de l’ultimatum laissent croire qu’il faudrait peut-être le prendre en compte.

Certains économistes croient que la perception du caractère équitable des salaires qu’une entreprise verse à ses employés devrait aussi être prise en considération. Ainsi, lorsqu’une entreprise récolte des profits particulièrement élevés pour une année donnée, les employés (comme le joueur B) pourraient s’attendre à en recevoir une part notable, même si l’équilibre de marché ne l’impose pas.

L’entreprise (comme le joueur A) pourrait très bien décider de donner aux employés plus que le salaire d’équilibre, de crainte que dans le cas contraire, les employés tentent de se venger en travaillant moins bien ou en recourant à la grève ou même au vandalisme.

Les individus souffrent d’incohérence intertemporelle

Songez à une tâche monotone, comme faire la lessive, pelleter la neige dans l’entrée ou remplir ses déclarations de revenus, puis répondez aux questions suivantes :

  • Préférez-vous (A) consacrer immédiatement 50 minutes à ladite tâche ou (B) lui consacrer 60 minutes demain ?
  • Préférez-vous (A) lui consacrer 50 minutes dans 90 jours ou (B) lui consacrer 60 minutes dans 91 jours ?

Lorsqu’on leur pose des questions de ce genre, nombreuses sont les personnes qui choisissent la réponse B à la première question et la réponse A à la deuxième question. Lorsqu’elles reportent la tâche monotone dans un avenir à moyen terme (comme dans la deuxième question), elles minimisent la quantité de temps nécessaire à consacrer à la tâche en question.

Toutefois, lorsqu’elles envisagent la possibilité de l’accomplir immédiatement (comme dans la première question), elles préfèrent y renoncer et la remettre au lendemain.

D’une certaine façon, un tel comportement n’a rien de surprenant : tout le monde se laisse tenter de temps en temps par la procrastination. Cependant, selon la théorie des choix rationnels, il suscite la perplexité. Supposons qu’en réponse à la deuxième question, une personne choisisse de consacrer 50 minutes à la tâche dans 90 jours, et que 90 jours plus tard, nous lui permettions de changer d’avis.

En fait, cette personne a alors à répondre à la première question et décide d’accomplir la tâche le lendemain. Pourquoi le simple passage du temps modifierait-il les choix qu’elle fait ?

En maintes occasions dans la vie, les individus élaborent des projets pour eux-mêmes, mais sans y donner suite en fin de compte. Une fumeuse se promet d’arrêter de fumer, mais à peine quelques heures après avoir fumé sa dernière cigarette, elle a envie d’en fumer une autre et laisse tomber sa promesse.

Un homme voulant perdre du poids se promet de ne plus manger de dessert, mais lorsque le serveur apporte la carte des desserts, la promesse est vite oubliée. Dans les deux cas, le désir d’obtenir une gratification immédiate amène la personne concernée à abandonner son engagement.

Certains économistes croient que la décision de consommer ou d’épargner est un cas important dans lequel les individus font preuve d’une incohérence intertemporelle de ce genre.

Pour beaucoup de personnes, faire une dépense procure une gratification immédiate. S’en abstenir et épargner la somme correspondante, comme le fait de renoncer à une cigarette ou à un dessert, exige un sacrifice immédiat en vue d’obtenir une récompense dans un avenir lointain.

Tout comme beaucoup de fumeurs aimeraient pouvoir cesser de fumer et beaucoup de personnes ayant un excès de poids aimeraient manger moins, beaucoup de consommateurs aimeraient épargner davantage. Ainsi, selon une enquête, plus de 50 % des Canadiens ont afrmé qu’ils n’épargnaient pas sufsamment en vue de leur retraite.

Il découle de cette incohérence intertemporelle que les individus devraient s’efforcer de trouver des moyens de s’engager à donner suite à leurs propres projets.

Une fumeuse qui tente d’arrêter de fumer peut se débarrasser de toutes ses cigarettes et un homme qui suit un régime peut verrouiller son réfrigérateur. Que peut faire une personne qui épargne trop peu ? Elle devrait trouver un moyen de mettre de côté son argent avant de le dépenser.

Certains comptes bancaires, comme ceux qui sont associés à un régime d’épargne-retraite, rendent justement la chose possible. Un employé peut autoriser un prélèvement sur son chèque de paie avant même de le recevoir. La somme prélevée est déposée dans un compte bancaire et ne peut être utilisée avant la retraite qu’au prix d’une pénalité financière.

C’est peut-être justement une des raisons pour lesquelles ces comptes d’épargne-retraite sont si populaires : ils mettent les individus à l’abri de leur propre désir d’obtenir une gratification immédiate.

Défis et considérations éthiques

Bien que l’économie comportementale offre des idées précieuses, elle soulève également des défis et des considérations éthiques importants.

Manipulation contre influence

La ligne entre influencer et manipuler le comportement est parfois floue. Alors que les applications de l’économie comportementale peuvent améliorer la vie des gens, elles peuvent également être utilisées de manière abusive. Par exemple, les techniques de « dark pattern » dans la conception d’interfaces utilisateur utilisent des tactiques trompeuses pour inciter les utilisateurs à prendre des décisions qui ne sont pas dans leur meilleur intérêt, telles que des abonnements cachés ou des options de consentement ambiguës. Il est essentiel de respecter l’autonomie des individus et de s’assurer que toute intervention ou influence est éthiquement justifiée et ne viole pas la confiance du public.

Équité et inclusion

Les modèles de comportement économique peuvent varier en fonction de facteurs culturels, sociaux et démographiques. Il est important de reconnaître que les prévisions et les interventions ne s’appliqueront pas uniformément à tous les groupes. Les préjugés et les heuristiques peuvent différer entre les cultures, les genres et les classes sociales. Par conséquent, les applications de l’économie comportementale doivent tenir compte de ces différences pour garantir des résultats équitables et inclusifs. Sinon, il existe un risque de renforcer les préjugés existants ou d’exclure certains groupes de la prise de décision.

Responsabilité et réglementation

Avec un pouvoir accru vient une plus grande responsabilité. À mesure que notre compréhension de l’économie comportementale s’améliore, il devient essentiel de réglementer son application. Cela pourrait impliquer des directives éthiques, des lois sur la protection des données ou des normes industrielles pour garantir que les interventions sont sûres, éthiques et transparentes. Les organisations qui utilisent ces idées doivent être tenues responsables de leurs actions et de leur impact sur la société.

Alors que nous naviguons dans ces considérations, il est important de maintenir un dialogue ouvert et continu entre les économistes, les décideurs, les entreprises et le public. Ce n’est qu’à travers une telle collaboration que nous pouvons maximiser les avantages de comprendre l’irrationnel tout en minimisant les risques potentiels.

Conclusion

l’étude de l’économie comportementale devrait illustrer l’importance de se méfier de toute institution qui s’appuie sur la prise de décisions des êtres humains, que ce soit le marché ou le gouvernement

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