Le concept d’économie circulaire naît de l’idée selon laquelle un déchet peut, une fois convenablement traité, redevenir une ressource, formant ainsi une boucle dans la chaîne de production et de consommation.
Ce vaste concept connaît des acceptions variées, qu’il convient d’analyser. Cette section compare donc les définitions les plus utilisées, pour aboutir à la définition adoptée dans ce rapport :
« La transition vers une économie circulaire, c’est l’ensemble des transformations qui permettent de poursuivre la création de valeur pour les différents acteurs économiques (dont les consommateurs finaux), en préservant le capital naturel et en utilisant de moins en moins des ressources existant en quantité limitée. »
In fine, il s’agit de s’assurer que l’activité économique consomme moins de capital naturel que ses capacités de régénération, en mobilisant tous les leviers, des plus traditionnels (le recyclage par exemple), aux plus innovants (notamment la révolution digitale et ses multiples possibilités : plateformes de partage et de mise en relation, virtualisation, impression 3D, etc.).
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Table de matières
l’économie circulaire : un concept en évolution
Le concept d’économie circulaire prend ses racines dans l’observation des phénomènes physiques et des cycles naturels. Ainsi, la célèbre maxime « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », attribuée à Lavoisier, est souvent évoquée comme la meilleure synthèse du paradigme de l’économie circulaire.
Or, cette expression, tirée du Traité élémentaire de chimie de 1789, reprenait déjà l’idée du philosophe grec présocratique Anaxagore : « rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ».
Cependant, le concept a principalement gagné en consistance par opposition à celui d’économie linéaire. Ce dernier, issu de la révolution industrielle, repose sur la chaîne « extraction de matières –production d’un bien – consommation de ce bien – production de déchets ».
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La viabilité d’une économie fondée sur ce modèle a commencé à être remise en cause au moment où la communauté internationale a pris conscience que les ressources que l’homme exploite se raréfient. Ainsi, le rapport sur les limites de la croissance, publié en 1972 par le Club de Rome, établit les premiers modèles d’économie en boucle.
Ce rapport modélisait la croissance mondiale et en simulait les conséquences en matière de consommation de ressources, de croissance de la population, de pollution ou encore d’érosion des terres arables. Ces simulations suggéraient que le risque était réel d’un effondrement à moyen terme de l’écosystème terrestre, par essence instable en présence d’une croissance exponentielle.
Le rapport recommandait notamment d’engager un changement de mentalité, visant à stabiliser la population et la production industrielle par tête à des niveaux soutenables à long terme.
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Cette approche se fonde sur le principe qu’il n’est pas possible d’envisager une croissance infinie dans un monde où les ressources sont finies. Le terme est employé pour la première fois en 1989 par deux économistes de l’environnement, David W. Pearce et R. Kerry Turner, dans leur ouvrage Economics of Natural Ressources and the Environment.
Le concept d’économie circulaire repose donc sur deux idées élémentaires : la prise de conscience que ce qui est considéré comme déchet peut être réutilisé comme ressource, à l’image des processus à l’œuvre dans les cycles naturels, d’une part ; la nécessité de dissocier croissance économique et exploitation des ressources naturelles, d’autre part.
Une convergence de définitions vers un objectif central : celui d’une croissance économique durable
De nombreuses définitions de l’économie circulaire mettent l’accent sur une utilisation efficace des ressources et l’allongement de la durée de vie des matériaux à travers le recyclage ou la réutilisation.
Cette focalisation se retrouve également dans les définitions que proposent les économistes. Ainsi, comme l’expose Christian de Perthuis de l’Université Paris-Dauphine, « l’économie circulaire est généralement définie à partir du souci d’économiser et de recycler les matières premières pour éviter l’épuisement de leurs stocks ».
Dans cette perspective, les ressources naturelles sont conçues comme des réserves. Or, une telle approche a déjà révélé ses limites en se basant sur des prévisions erronées de disparition de ressources.
C’est ce qu’a notamment montré la crainte du peak oil dans les années 1970, qui anticipait la disparition des réserves pétrolières au début du XXIe siècle.
Cette conception de l’environnement est aujourd’hui remise en cause, notamment par Christian de Perthuis, qui envisage les modes de production et de consommation des ressources naturelles de façon plus dynamique.
Aussi l’environnement doit-il être considéré, selon lui, comme un ensemble de fonctions régulatrices qu’il faut apprendre à préserver plutôt que comme une réserve que nous consommons et qu’il convient de gérer de façon optimale.
« Le problème n’est dès lors plus de savoir à quel rythme nous allons épuiser un stock, explique-t-il, mais de nous assurer que nos comportements, en termes de production et de consommation, sont compatibles avec les fonctions régulatrices naturelles qui constituent le véritable capital naturel, notre “capital vert”. »
La définition de l’économie circulaire inclut donc bien souvent la protection, voire la régénération de l’environnement. L’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) introduit de manière explicite dans sa définition la préservation de l’environnement.
La Fondation Ellen MacArthur définit quant à elle deux dynamiques au fondement de l’économie circulaire : la régénération et la protection du capital naturel d’une part, et l’efficacité d’utilisation des ressources naturelles d’autre part.
Selon Christian de Perthuis, « le véritable enjeu de l’économie circulaire, c’est de remettre nos cycles de production et de consommation en phase avec ces fonctions régulatrices naturelles. Mieux, l’enjeu est de reconstruire une économie qui utilise ces cycles naturels comme de véritables facteurs de production, dans lesquels il nous faut investir. » Or, « la raison de fond qui conduit à cette destruction du capital naturel est la gratuité de son usage ».
De nombreux leviers de l’économie circulaire
Les objectifs à atteindre via le développement de l’économie circulaire font globalement consensus. L’étape suivante consiste donc à identifier les leviers d’action concrets qui permettront de les réaliser.
On classe les actions possibles en matière d’économie circulaire selon six catégories.
L’approvisionnement durable, destiné à réduire l’impact de l’approvisionnement en matières premières ou à remplacer des matières premières non-renouvelables par des matières premières renouvelables.
L’écoconception, qui permet de prendre en compte les impacts environnementaux sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit et de les intégrer dès sa conception. Cela consiste par exemple à fabriquer des sacs de supermarchés biodégradables à destination des professionnels ou encore à concevoir des machines aisément réparables, et en fin de vie, recyclables ou ayant un impact réduit sur l’environnement.
Par exemple, afin de minimiser l’impact de ses produits sur l’environnement et la santé, l’entreprise de production de revêtements de sol Tarkett a mis en place un système de transparence et de traçabilité de chacune des matières et composants de ses produits. Ainsi, elle cherche à s’assurer que toutes les matières premières utilisées sont évaluées et que les produits arrivant en fin de vie pourront effectivement être recyclés convenablement grâce à la disponibilité de l’information sur leurs composants.
L’écologie industrielle et territoriale, qui consiste à mettre en place un mode d’organisation industrielle caractérisé par une gestion optimisée des stocks et des flux de matières, de l’énergie et des services sur un même territoire.
L’économie de la fonctionnalité privilégie quant à elle l’usage à la possession, la vente d’un service plutôt que celle d’un bien. Ainsi Michelin, pour les poids lourds, préfère à la seule vente des pneus la vente d’un service de mobilité, comprenant la location et l’entretien desdits pneus, garantis pour un certain nombre de kilomètres.
L’économie de la fonctionnalité induit aussi la modification des modes de consommation : évolution des comportements d’achat (achat d’occasion ou de produits reconditionnés, par exemple) ou encore développement de la consommation collaborative (achat en commun, économie du partage).
L’allongement de la durée d’usage des biens, grâce :
- au réemploi, à l’introduction dans le circuit économique des produits qui ne correspondent plus aux besoins premiers du consommateur (par exemple, le reconditionnement d’ordinateurs délaissés à destination des communautés Emmaüs) ;
- à la réutilisation de certains déchets ou de certaines parties du déchet encore en état de fonctionnement dans l’élaboration de nouveaux produits (par exemple, le compostage par les particuliers, la popularisation du « do it yourself », l’utilisation de pièces de rechange usagées dans l’automobile, etc.) ;
- à la réparation, en donnant une deuxième vie aux biens en panne (par exemple le réseau social de réparation à domicile « Lulu dans ma rue », qui propose un service de conciergerie de quartier).
Le recyclage consiste à réutiliser les matières issues des déchets, voire à procéder à leur valorisation énergétique. Notons cependant que si le recyclage n’est qu’une composante importante de l’économie circulaire, il ne saurait en être l’unique : même un taux extraordinairement élevé de recyclage ne saurait permettre une croissance économique durablement découplée de la consommation de ressource.
Sur le plan des leviers d’action, la Fondation Ellen MacArthur propose un cadre encore plus large, puisqu’elle intègre à la notion d’économie circulaire les possibilités de virtualisation (vendre un livre électronique plutôt qu’un livre papier, par exemple) ou de substitution de matières premières, ou de procédés, par des solutions ayant moins d’impact sur l’environnement, ces nouvelles matières ou procédés étant plus efficients. Ce levier peut s’apparenter à la notion d’approvisionnement durable.
La longue liste de leviers ci-dessus montre que la frontière entre économie circulaire et économie classique est parfois subtile et impose une vision globale des impacts des transformations sur l’ensemble de l’économie.
L’exemple suivant illustre cette nécessité : les solutions de covoiturage entre particuliers ressortent certainement de l’économie circulaire tant qu’elles permettent de partager l’usage de biens existants (les voitures des particuliers) et de réaliser plus de déplacements de passagers avec autant de véhicules.
La situation devient différente si une telle solution en vient à se substituer massivement à des offres de transport plus écologiques comme le train, ou encore lorsque des particuliers achètent une seconde voiture pour exercer en tant que chauffeur privé.
Toujours dans le domaine de l’économie collaborative, les solutions de partage de logements font partie de l’économie circulaire lorsque des particuliers louent leur appartement pendant leurs congés ou mettent à disposition une chambre vacante.
En revanche, lorsque l’on constate la mise en place de meublés touristiques loués tout au long de l’année et jamais utilisés comme résidence principale, il y a substitution vis-à-vis de l’hôtellerie traditionnelle et éviction de l’offre de logement (nécessitant potentiellement de nouvelles constructions) ; la circularité recherchée n’est alors pas atteinte.
En conclusion de cette revue des définitions existantes, et avec en tête cette nécessité d’une approche décloisonnée des problèmes, nous proposons de définir l’économie circulaire de la manière suivante :
« la transition vers une économie circulaire, c’est l’ensemble des actions et transformations qui permettent de poursuivre la création de valeur pour les différents acteurs économiques (dont les consommateurs finaux) en préservant le capital naturel et en utilisant de moins en moins de ressources existant en quantité limitée (qu’elles soient non renouvelables ou qu’elles se renouvellent à un rythme trop lent par rapport à leur consommation). »
Des caractéristiques fondamentales : croissance, innovation, collaboration
En complément à la définition proposée précédemment, il semble important de souligner certaines caractéristiques fondamentales de l’économie circulaire et de préciser ce qu’elle n’est pas.
Tout d’abord, l’économie circulaire n’est pas une économie de la décroissance. Elle vise à fournir des biens et des services, parfois nouveaux, aux consommateurs finaux, en minimisant l’impact sur les ressources non renouvelables et les fonctions régulatrices naturelles. Elle n’implique pas de ralentir la croissance économique ou de réduire les bénéfices reçus par les consommateurs finaux.
De la même manière, l’économie circulaire n’est pas synonyme du concept d’économie frugale, développée notamment par l’économiste Navi Radjou, qui peut être définie brièvement comme « faire mieux avec moins ». L’économie frugale partage un certain nombre des caractéristiques de l’économie circulaire mais n’en englobe pas tous les aspects.
Ainsi, toutes deux supposent l’existence de modèle d’affaires profitables permettant à des acteurs industriels d’investir et de développer les nouveaux modèles de chaîne de valeur. Elles se veulent source d’innovation et de croissance. Cependant, les logiques d’économie circulaire peuvent également s’appliquer à des modèles industriels lourds que l’on inclurait mal dans le modèle frugal.
Par rapport à une économie linéaire, essentiellement transactionnelle, l’économie circulaire est source de collaborations accrues entre acteurs.
Par exemple, un producteur d’emballages qui vise la circularité de ses produits a besoin de collaborer avec des acteurs qui lui fournissent des matériaux d’origine renouvelables compatibles avec son processus industriel et avec des professionnels du recyclage qui assurent la collecte et le recyclage des emballages usés.
De la même manière, recycler ou réutiliser des composants d’aéronefs en fin de vie demande une collaboration forte entre les professionnels du recyclage et les fabricants de l’avion qui connaissent en détail les plans de l’appareil et sa composition, et sont capables de vérifier la qualité d’une pièce détachée.
Enfin, l’économie circulaire n’est pas forcément locale. Même si certains leviers favorisent une économie de recyclage ou de réutilisation en boucle courte et locale et des initiatives de production locale, certaines économies d’échelle ou des chaînes de valeur mondiales peuvent amener des modèles plus globaux, comme dans le cas du secteur aéronautique évoqué plus haut.
Les lacunes de l’économie circulaire
L’économie circulaire, oui, mais…
L’économie circulaire d’aujourd’hui est jeune de par son cadre fédérateur et vieille de par les concepts qu’elle englobe. Elle pose un regard neuf sur des idées qui la précèdent et leur insuffle un regain d’énergie bienvenu. Elle est encore mouvante et parfois difficile à cerner. Comme toujours, l’attrait d’une réponse unique, simple et magique n’est qu’un mirage, possiblement néfaste.
L’économie circulaire ne peut pas tout faire, tout voir, tout prévoir. Elle ne pourra réellement être bénéfique pour tous que si ceux qui en sont les promoteurs reconnaissent explicitement ses limites et travaillent avec des approches complémentaires, permettant ainsi une démarche holistique face aux défis de la durabilité.
Tout comme les acteurs mobilisant les autres approches auront intérêt à considérer l’économie circulaire comme un atout important pour progresser ensemble vers un monde plus juste et plus durable.
Il est important de mettre en lumière les dimensions que l’économie circulaire ne contient pas, mais qui sont présentes dans d’autres concepts proches.
L’économie circulaire n’intègre que très peu de considérations sociales (par exemple, comment améliorer un système du point de vue de la qualité des emplois ou du bien-être de la communauté) et ne parle pas d’équité (s’assurer d’une juste distribution des effets des activités économiques, positifs et négatifs, au sein de la population).
Le bien-être est mentionné par certaines organisations, telle l’ADEME, mais avec un fort accent sur la création d’emplois, qui n’est qu’une des nombreuses facettes à considérer sur le plan social.
En ce qui concerne la prise en compte de l’environnement, de nombreuses approches existent. Elles visent à examiner les enjeux sous différents angles afin de comprendre tant leurs effets directs que ceux issus des solutions proposées.
l’économie circulaire va-t-elle évoluer pour inclure au centre de sa définition des considérations sociales, l’équité et d’autres notions aujourd’hui absentes ou va-t-elle les laisser de côté ?
Ces omissions ne sont pas un problème en soi, mais on doit les énoncer clairement pour compléter les initiatives dites circulaires par des perspectives et outils visant la prise en compte de ces autres dimensions si l’on veut faire de l’économie circulaire un véritable projet de société.
La force de l’économie circulaire, soit sa capacité à susciter l’adhésion, pourrait devenir problématique si cela incitait les acteurs économiques à y voir la solution nécessaire et suffisante et à mettre de côté des démarches complémentaires indispensables pour éviter les fausses bonnes idées et les effets pervers.