la méthode des coûts à base d’activités ABC (Activity Based Costing)

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Face aux insuffisances des modèles traditionnels et aux nouvelles exigences du contrôle de gestion, un nouveau cadre de référence a été élaboré. Il est issu du programme de recherche Cost Management System (CMS), mené par des consultants et des universitaires américains (Robert Kaplan, Robin Cooper, Michael Porter) et diffusé en France par Pierre Mévellec dès 1985. Il s’agit de la méthode des coûts à base d’activités (Activity Based Costing).

Dans cet article nous présenterons dans un premier lieu l’approche stratégique de la méthode ABC, dans un deuxième lieu le processus du produit à l’activité, dans un troisième lieu le management à base d’activités ou ABM, dans un quatrième lieu la mise en œuvre de la méthode ABC et enfin l’appréciation critique de la méthode ABC

Une approche stratégique de la méthode ABC

Le modèle classique est centré sur la connaissance du coût de production. Or, avec la crise du fordisme, la fonction production a perdu de son poids au profit…

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  • … des fonctions d’amont (gestion des approvisionnements, sous-traitance, etc.) ;
  • … des fonctions d’aval (marketing, différentiation accrue des produits, etc.) ;
  • … des fonctions transversales (recherche et développement, gestion des ressources humaines, logistiques, qualité, etc.).

Dans le modèle fordiste, la stratégie dominante est une stratégie de domination par les coûts. La crise du fordisme a généré l’apparition de nouveaux outils d’analyse stratégique moins axés sur la réduction des coûts, mais sur l’identification de facteurs clefs de succès plus diversifiés.

Il en est ainsi de la chaîne de valeur de Michael Porter. Cette représentation de l’entreprise est un outil d’analyse stratégique de l’organisation qui donne une vision transversale des organisations.

Elle se fonde sur le découpage de l’entreprise en activités, dans l’objectif d’identifier parmi elles celles qui sont stratégiques pour l’entreprise, c’est-à-dire génératrices de valeur pour le client. Ce sont ces activités stratégiques qui procurent un avantage concurrentiel et qu’il faut privilégier.

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Ce découpage se distingue du découpage opérationnel traditionnel : approvisionnement – production – distribution. Il est propre à chaque entreprise, et peut évoluer dans le temps, ou en fonction des intentions de la direction.

la méthode des coûts à base d’activités (Activity Based Costing)

Pour le stratège, l’intérêt de la chaîne de valeur est de mettre en évidence l’importance pour l’entreprise des activités de soutien, transversales à l’activité (qui ne correspondent pas au découpage « séquentiel » opérationnel des activités principales).

Une analyse comptable de ces activités permet de constater qu’elles représentent essentiellement des charges indirectes. Il en découle donc que, lorsque le stratège cherche à mieux comprendre la part de ces activités de soutien dans le processus de création de valeur, il rejoint le souci du comptable qui cherche à décomposer et analyser les charges indirectes.

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La méthode ABC est donc une méthode de calcul du coût complet qui s’inspire du découpage stratégique de l’entreprise en activités, et qui cherche à faire coïncider la répartition des charges indirectes avec ce découpage. Les charges indirectes ne sont plus perçues comme un ensemble de charges qu’il « faut » répartir pour effectuer des calculs (et que l’on va donc répartir au plus simple), mais comme un élément de compréhension du processus de création de valeur de l’entreprise.

Remarque

Méthode classique versus méthode ABC : La comparaison entre méthode traditionnelle (des centres d’analyse) et méthode ABC a généré de nombreux discours, qui sont parfois ambigus ou exagérés.

Techniquement, l’ABC conduit généralement à proposer un « autre » découpage des charges indirectes que celui proposé traditionnellement (et conduit donc à calculer des coûts de revient différents).

Mais d’un point de vue calculatoire, la démarche (répartition des charges indirectes en activités/centres, puis imputation de ces charges sur les produits) est similaire. C’est avant tout l’analyse de ces charges qui diffère, et le vocabulaire qui lui est associé.

La méthode des centres d’analyse a été élaborée par Émile Rimailho, ancien ingénieur militaire, et avait vocation à être appliquée par toutes les entreprises françaises. Elle se caractérise donc par un caractère très pragmatique et mathématique.

Le vocabulaire y est précis et fonctionnel. On parle de répartition des charges indirectes en centres, de coefficient de corrélation, d’homogénéité, d’imputation, d’unité d’œuvre, etc. La méthode ABC s’inspire quant à elle de travaux académiques, et n’est pas normalisée.

Elle se caractérise donc par un vocabulaire issu de la stratégie (activités, processus, inducteur de coût, consommation de ressources, etc.) et une grande adaptabilité.

La contrepartie de ces qualités est qu’il plane un certain flou au niveau de son application et des désaccords sur la définition des termes utilisés. Deux entreprises peuvent annoncer mettre en œuvre une méthode ABC de calcul des coûts sans pour autant faire la même chose.

la méthode ABC : du produit à l’activité

Du fait du raccourcissement de leur cycle de vie, les produits sont trop éphémères et trop variés pour pouvoir continuer à servir de base aux systèmes de calcul des coûts. Les organisations doivent trouver une notion plus stable que le produit. C’est la notion de compétence, de savoir-faire.

Une compétence s’exprime par des actions constitutives d’activités, et s’il est délicat d’évaluer directement les compétences, il est possible de mesurer les consommations et les productions caractéristiques des activités correspondantes.

  • Définition

Une activité peut se définir comme un ensemble de tâches coordonnées au sein d’un processus consommateur de ressources en vue de délivrer une production.

Alors que le modèle des centres d’analyse propose une vision très calculatoire dans laquelle les charges indirectes sont réparties puis imputées aux produits, la méthode ABC décrit les organisations comme un ensemble d’activités et part du principe que les activités consomment des ressources et que les produits consomment des activités.

  • Vocabulaire ABC
la méthode ABC : Du produit à l’activité

L’approche ABC étant née dans un contexte académique et juridique (aux États-Unis) totalement indépendant de celui qui a présidé à la création de la méthode des centres d’analyse, le vocabulaire qu’il utilise est totalement différent.

Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas, dans la pratique calculatoire, une similitude très forte entre la notion de centre d’analyse (ou de section) et celle d’activité. Dans la plupart des exercices, on appelle activité un découpage des charges indirectes différent de celui fait par les centres d’analyse.

Le management à base d’activités ou ABM (Activity Based Management)

Puisque les activités consomment les ressources, la maîtrise des ressources consommées est liée à la maîtrise des activités. Le management à base d’activités ou ABM est une phase additionnelle à la méthode ABC.

  • Définition

Le management à base d’activités (Activity Based Management ou ABM) analyse comment les activités d’un processus contribuent à la création de valeur et cherche à optimiser le rapport « valeur-coût » dans une vision transversale de l’organisation.

La valeur c’est l’importance que l’on accorde aux choses, nous apprend le dictionnaire. Pour

l’économiste Adam Smith, il y a deux dimensions à la notion de valeur : la valeur d’usage et la valeur d’échange. Mais en sciences de gestion, le terme valeur fait référence à autre chose.

On parle également de « management par la valeur » :

  • analyser les besoins et y répondre ;
  • maîtriser les coûts.

L’ABM va donc au-delà du constat et du calcul des coûts. Il permet de réorganiser l’entreprise pour améliorer le rapport valeur/coût des activités : Quelles sont les activités principales de l’entreprise ? Quelles sont les activités à développer ? Quelles sont les activités à externaliser ?  Comment améliorer les activités restantes (notion d’efficience) ? Comment acquérir le savoir-faire nécessaire ?… Deux termes sont souvent associés à l’ABM :

  • Reengineering (reconfiguration des processus) : pour améliorer les processus créateurs de valeur en visant la réduction des coûts, l’amélioration des délais, de la qualité, la satisfactiondu client, etc
  • Benchmarking (étalonnage comparatif) : recherche de l’efficience en se comparant à un  « meilleur » choisi parmi les concurrents ou les partenaires.
  • Intérêt du management à base d’activités

  – Du fait de l’analyse des processus et de l’élargissement des critères de performance, le management à base d’activités est particulièrement pertinent pour répondre à la gestion de projets, au « juste à temps » ou à la démarche qualité.

– Le contrôle de gestion participe à la réorganisation de l’entreprise par l’identification des activités et des processus et par le diagnostic porté sur les activités non productrices de valeur.

– Le système de déploiement et de communication de la stratégie par des indicateurs de pilotage compréhensibles assure la cohérence globale de l’entreprise.

– Le contrôle de gestion contribue, en mettant en place un système d’animation, à une dynamique permanente d’amélioration, dans une logique de changement continu.

  • Limites du management à base d’activités

– La cohérence, la compatibilité des indicateurs de performance n’est pas aisée à obtenir. L’objectif de qualité peut, par exemple, s’opposer à celui de baisse des coûts.

– Les indicateurs de performance peuvent avoir des effets pervers.

Exemple

La réduction d’un délai de livraison peut induire une moindre qualité des manipulations et donc un taux de retour plus important.  

– L’impact d’une amélioration qualitative (qualité, réactivité…) sur les résultats financiers est difficilement mesurable; dans une logique d’animation, cela pose problème pour la mise au point du système d’incitation au travers des rémunérations.

Mise en œuvre de la méthode ABC

La mise en œuvre de la méthode ABC suppose d’élaborer la carte des activités puis de simplifier  la représentation obtenue.

L’élaboration de la carte des activités

Cette première étape vise à représenter l’organisation par ses activités. Elle s’attache à répondre  à trois questions : Quelles sont les activités présentes ? Quelles ressources consomment-elles ? Quelle est leur production ?

Parallèlement, pour préparer non plus le calcul des coûts mais la gestion des coûts (ABM),  d’autres questions sont posées : Quelles sont les causes de l’activité ? Quelles sont ses performances ? etc.

Identifier les activités

L’outil privilégié est l’entretien avec les acteurs. Cette approche a le double avantage de sensibiliser et d’associer les opérationnels au futur modèle de fonctionnement de l’organisation.

Cette étape est primordiale, et est sans doute la plus intéressante et la plus longue à mettre en œuvre. Pourtant, il faut reconnaître qu’il est difficile de concevoir des exercices sur ce sujet. Les exercices se concentrent donc généralement sur l’aspect calculatoire de la méthode, et se situent donc en aval de cette phase d’identification.

Évaluer les ressources consommées par les activités

La méthode ABC se démarque du modèle traditionnel des centres d’analyse car elle est fondée sur l’origine des coûts, c’est-à-dire sur les liens de causalité entre la consommation de ressources et les activités.

Il s’agit de faire disparaître l’arbitraire lié à l’imputation des charges indirectes aux différents coûts. On dit parfois qu’avec la méthode traditionnelle, les charges indirectes sont indirectes par rapport aux produits alors qu’avec la méthode ABC, elles deviennent directes par rapport aux activités (mais demeurent indirectes par rapport aux produits).

L’affectation des charges selon leur traçabilité (une charge traçable est allouée à un coût selon une unité non arbitraire) répond ainsi à une critique forte de la méthode des centres d’analyse.

Choix des inducteurs d’activité

  • Définition

Un inducteur d’activité mesure comment les objets de coût consomment les activités. Il permet d’allouer le coût de l’activité en fonction du nombre d’inducteurs consommés par les objets de coût (produit, processus, projets, clientèle, etc.).

Techniquement, le rôle d’un inducteur d’activité est similaire à celui d’une unité d’œuvre.

Remarque

Méthode classique versus méthode ABC :

Dans la méthode des centres d’analyse, l’approche « ingénieur » conduit généralement à privilégier des notions mathématiques comme l’analyse statistique ou les coefficients de corrélation.

Dans la méthode ABC, l’approche « management » conduit à privilégier la compréhension du fonctionnement de l’entreprise en conduisant des entretiens avec les acteurs.

Les deux démarches adoptent des angles très différents, mais cela ne signifie pas qu’un inducteur de coût ne doive pas être corrélé à la consommation de l’activité, ni qu’une unité d’œuvre ne puisse pas être déterminée après des discussions avec les opérationnels.

La simplification de la carte et le regroupement des activités par inducteur

L’analyse des processus et les entretiens auprès des opérationnels conduisent donc à la réalisation d’une carte des activités, qui est généralement une représentation complexe de l’entreprise.

Elle peut alors présenter deux inconvénients majeurs : coût de maintenance et de traitement, et surtout un affichage peu clair des messages à faire passer. Le recensement des activités conduit généralement à des simplifications :

  • élimination des activités peu consommatrices de ressources et qui participent faiblement à la création de valeur ;
  • regroupement des activités par facteurs de causalité : quand plusieurs activités ont le même inducteur, elles sont regroupées dans des centres de regroupement.

Synthèse des principales étapes

Le schéma suivant retrace les principales étapes du calcul des coûts à base d’activités. Il peut servir de fil conducteur à la réalisation de la plupart des exercices proposés sur la méthode ABC

la méthode des coûts à base d’activités (Activity Based Costing)

Appréciation critique de la méthode ABC

Face à l’engouement soulevé dans les années 1990 par la méthode ABC, quelques limites ont été présentées :

  • La notion d’activité est ambiguë.
  • Le frein humain est une difficulté fréquemment citée par les entreprises qui ont implanté la méthode : la mise en place est parfois ressentie comme une remise en cause des compétences et du pouvoir et suppose l’adhésion du personnel.
  • Il ne faut pas créer une « usine à gaz » ni une organisation trop sommaire. Un arbitrage entre simplicité et complexité s’impose.
  • La similitude dans le procédé de calcul des coûts conduit des auteurs à rappeler que la méthode des « sections homogènes » se fonde sur l’homogénéité de l’activité du centre d’analyse et qu’en ce sens la méthode des coûts à base d’activités ne constituerait qu’un « retour aux sources ».

Cependant, c’est oublier que :

  • la logique des inducteurs est fondée sur l’étude des causalités alors que celle des unités d’œuvre est celle d’une imputation aux coûts ;
  •  la méthode permet de prendre conscience des problèmes de transversalité et ouvre sur une meilleure gestion des activités et des processus (ABM) : le calcul des coûts ne suffit pas à appréhender la valeur créée par une organisation. L’adoption d’une comptabilité à base d’activités est ainsi une étape vers une comptabilité stratégique.

Si la méthode des centres d’analyse a le défaut de s’appuyer sur le découpage fonctionnel de l’entreprise plutôt que de se fonder sur une analyse des processus et des véritables causes de consommation des ressources, elle a la qualité de faire généralement coïncider les centres d’analyse avec les centres de responsabilité, facilitant ainsi la fixation des objectifs et le suivi de leur réalisation.

La méthode ABC/ABM dissocie l’analyse des coûts du découpage de l’entreprise en centres de responsabilités, et si le découpage comptable se rapproche du découpage stratégique, il ne coïncide plus avec la structure fonctionnelle et budgétaire.

Enfin, la vision stratégique est par nature changeante (on analyse les activités stratégiques une fois de temps en temps) alors que la vision comptable doit être par nature constante (le découpage a pour objectif de produire de manière répétitive des indicateurs chiffrés). Il y a sans doute une certaine utopie à chercher à faire coïncider ces deux visions.

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