Au-delà de ces grands courants de pensées, la théorie des organisations fourmille de nombreux autres apports utiles au management de l’innovation, mais peu d’entre eux débouchent réellement sur des applications concrètes et solides.
On pourrait néanmoins, citer Octave Gélinier (1968) qui prône le « développement incessant de l’innovation » via la définition d’une politique générale et d’une série d’objectifs applicables sur le long terme avec comme point d’orgue une capacité d’évolution de l’entreprise face aux mutations technologiques.
Le courant de pensée évolutionniste apporte aussi son lot de réponses sur les mécanismes de l’innovation mais les traitent surtout au niveau macro-économique.
Nous noterons toutefois que l’approche évolutionniste de la firme mise en avant par Sidney Winter et Richard Nelson (1982) contribue à éclaircir le paradigme organisationnel de l’entreprise innovante.
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Ils expliquent en effet que toute entreprise est régie par un ensemble de règles appelées « routines » qui « déterminent ses performances selon le type d’activité et qui guident sa trajectoire technologique ».
Ainsi, les compétences intrinsèques d’une entreprise sont fondées sur des savoir-faire organisationnels et technologiques, généralement implicites (croyances, culture d’entreprise) et non transférables.
Ce sont ces routines accumulées au fil du temps qui vont définir la capacité d’adaptation de l’entreprise à son marché qui est par essence, mouvant.
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Elles sont donc cruciales pour l’obtention d’un avantage concurrentiel.
La théorie évolutionniste, du fait de son caractère cumulatif, est au cœur du concept de l’apprentissage organisationnel.
Depuis l’ouvrage initiateur de Chris Argyris et Donald Schön en 1978, il n’existe toujours pas, à l’heure actuelle, de théorie généralement acceptée de l’apprentissage organisationnel. Or, cette théorie constitue l’une des fondations principales de notre analyse car elle prétend que l’organisation n’est pas un système figé mais une variable d’action du management, donc du management de l’innovation.
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Gérarld Koening (1994) définit l’apprentissage organisationnel comme « un phénomène collectif d’acquisition et d’élaboration de compétences qui, plus ou moins profondément, plus ou moins durablement, modifie la gestion des situations et les situations elles-mêmes ».
Norbert Alter (1993) explique que l’augmentation des incertitudes attribuées au processus de détaylorisation entamé dans les années 1970, entraîne une redéfinition permanente de la rationalité organisationnelle qui ne peut que difficilement s’adapter à la célérité et à la densité
des processus innovateurs.
En d’autres termes, l’efficacité d’une organisation repose donc bien plus qu’auparavant sur sa capacité à apprendre et à établir cahin-caha de nouvelles procédures internes.
Ce processus d’apprentissage doit donc constituer l’un des piliers de la dynamique innovante d’une entreprise. Il permet en effet à l’organisation de traiter des informations complexes et incertaines en provenance d’un environnement imprévisible et en perpétuelle mutation. C’est ce que Cohendet et Llerena (1989) qualifient de « flexibilité d’initiative ».
George Barclay Richardson (1972) approfondit également cette analyse en émettant l’idée que la coopération au niveau méso-économique est désormais un passage requis pour faire face à un marché global où les besoins des consommateurs, devenus hautement qualitatifs, sont par voie de conséquence, difficilement anticipables.
De plus, l’auteur précise que l’hétérogénéité des activités économiques connexes conduit à un élargissement du champ des compétences que l’entreprise doit pouvoir maîtriser pour être capable d’introduire des innovations.
Afin d’atteindre cet objectif, Richardson préconise l’apprentissage organisationnel comme modèle à suivre.
L’acquisition de cette compétence organisationnelle réside principalement dans la capacité de l’entreprise à travailler en réseau afin de favoriser la diffusion d’un flux permanent d’information à l’intérieur de la structure.
En effet, le développement isolé de l’expertise individuelle de chacun des salariés ne permet pas nécessairement d’assurer un développement global pour l’organisation.
Ainsi, le projet de l’organisation apprenante est de pouvoir bâtir un système permettant le développement des compétences collectives.
Philippe Zarifian (2005) s’accorde avec cette définition en précisant que « ce sont l’intensité réflexive à l’événement et la diversité des événements auxquels un même individu peut être confronté qui engendrent une expérience réellement transposable, qui génèrent un
apprentissage ». Il met lui aussi l’accent sur la « convertibilité » de la compétence engrangée au niveau du collectif de la structure.
En conséquence, la théorie de l’organisation apprenante induit d’une organisation qu’elle soit apte :
- à détecter et à corriger ses erreurs.
- à reconnaître et sélectionner les opportunités du marché.
- à accroitre ses capacités internes pour innover (ceci sous-entend une expansion continue de sa base de connaissances et d’information).
La théorie de la traduction fondée par Michel Callon et Bruno Latour (1986) dans les années 1980 vise à dégager les conditions de production et de circulation des innovations techniques et des connaissances scientifiques.
Cette théorie fut à l’origine élaborée sur les bases d’une étude empirique menée sur la réimplantation des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc.
Michel Callon observe que le succès de ce programme lancé par le Centre National d’Exploitation des Océans au début des années 1970 dépendit essentiellement de la réussite d’une association inédite entre toutes les catégories d’acteurs humains (ou non humains) dont les intérêts étaient subordonnés à la sauvegarde de cette espèce dans la région.
La mobilisation d’acteurs multiples (pouvoirs publics, scientifiques, marins-pêcheurs, etc.) a permis d’unir les forces et les savoir-faire complémentaires de ces acteurs divers en vue de la réalisation d’un but commun.
C’est ainsi que les chercheurs du programme, ont organisé la « traduction » de ce projet en une série d’intérêts propres à chacun des acteurs impliqués. Ce qui n’était qu’une question d’acquisition de connaissances fondamentales pour les scientifiques a été retraduit en termes de survie économique pour les pêcheurs tandis que le gouvernement local y a vu l’opportunité de valoriser son image de marque auprès des électeurs.
Selon Madeleine Akrich, sociologue française et actuelle directrice du Centre de sociologie de l’innovation (CSI), ce paradigme permet de « décrire les opérations par lesquelles le scénario de départ, qui se présente essentiellement sous une forme discursive, va progressivement, par une série d’opérations de traductions qui le transforment lui-même, être approprié, porté, par un nombre toujours croissant d’entités, acteurs humains et dispositifs technique » (Akrich, 1993).
« Par traduction, on entend l’ensemble des négociations, des intrigues, des actes de persuasion, des calculs, des violences grâce à quoi un acteur ou une force se permet ou se fait attribuer l’autorité de parler ou d’agir au nom d’un autre acteur ou d’une autre force : « vos intérêts sont les nôtres », « fais ce que je veux, vous ne pouvez réussir sans passer par moi ».
Lorsqu’un acteur dit « nous », il traduit d’autres idées d’acteurs en une seule volonté dont il devient l’âme ou le porte-parole (ce qui devrait être le rôle du manager). « Il se met à agir pour plusieurs et non pour un seul. Il gagne de la force. Il grandit » (Callon & Latour, 1981).
Les deux auteurs argumentent en faveur d’un dépassement des frontières organisationnelles pour introduire de nouvelles catégories d’acteurs afin de permettre les conditions d’émergence d’une innovation.
Ainsi, le concept de réseau sociotechnique de Callon et Latour met en évidence l’importance de l’hétérogénéité et de la diversité des acteurs nécessaires à la production des innovations.