Gareth Morgan, professeur à la Schulid School of Business de l’Université York à Toronto a clarifié la place des différentes écoles et des différents paradigmes de la théorie des organisations.
Son ouvrage Les images de l’organisation (De Boeck, Bruxelles, 1999), dont nous proposons des extraits, se propose par le biais de la métaphore de faire découvrir l’organisation sous différents angles.
Cette approche pertinente permet par l’utilisation du procédé métaphorique de comprendre un concept en se référant à une image connue.
Les images organisationnelles de Morgan sont au nombre de huit.
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Table de matières
L’organisation vue comme une machine
La vision de l’entreprise est réduite à un ensemble de rouages répondant chacun à un objectif particulier. L’entreprise est conçue comme un gigantesque mécanisme destiné à produire des biens ou des services dans lequel chaque individu est un simple rouage.
La division du travail réduit l’activité en une multitude de tâches élémentaires que l’on cherche à rendre opérationnelles et efficaces.
La vision taylorienne de la fabrique et le modèle webérien de la bureaucratie en sont des modèles typiques. L’école classique dans son ensemble, qui prône l’organisation comme un système rationnel, est l’illustration de la métaphore de la machine.
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L’organisation vue comme un organisme
Cette métaphore renvoie à une vision biologique de la vie sociale avec ses concepts associés: besoins, adaptations, régulations, systèmes, évolutions et relègue au second plan les idées mécaniques de structure et de rendement. Concevoir les organisations et leur évolution dans le cadre de leur environnement a conduit à l’élaboration d’une nouvelle approche : la systémique.
Deux écoles illustrent cette métaphore : l’école des relations humaines avec les travaux d’E. Mayo et A. Maslow et l’école de la contingence avec T. Burns et G. Stalker.
L’organisation vue comme un cerveau
Cette métaphore trouve son application tout particulièrement dans le traitement de l’information.
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Les organisations doivent gérer l’information, innover et mettre en œuvre des capacités d’apprentissage. L’organisation, comme le cerveau, traite de l’information.
L’école oé la prise de décision illustre cette nouvelle métaphore du cerveau avec, entre autres, H. Simons et J. March, les pionniers de « l’approche de la prise de décision » qui avaient, dès les années 1940, analysé les organisations comme des systèmes de prise de décisions.
L’organisation vue comme une culture
L’apport majeur du modèle japonais a mis en évidence, dans les années 1970, l’importance de la culture dans la construction d’une organisation. Par un ensemble de codes et de règles non écrites, la culture favorise et assure la cohésion des individus.
La vision culturelle de l’entreprise met en évidence que toute organisation repose sur des valeurs et des systèmes de significations communes ; une fois identifiés, ils peuvent être à la source d’innovations et de changements organisationnels.
La théorie Z de W. Ouchi (école néo-classique) illustre la métaphore de la culture. Elle est fondée sur des valeurs, telles que la loyauté, la fidélité, la confiance.
L’organisation vue comme un système politique
C’est le jeu des pouvoirs qui coexistent au sein d’une organisation qui est mise, cette fois, en évidence avec la métaphore politique. Le jeu des pouvoirs qui coexiste au sein d’une organisation est comparable à un véritable système politique à l’image de nos gouvernements.
La dimension politique d’une organisation est le fruit des rapports entre intérêt, pouvoir et conflit. L’auteur distingue plusieurs types de gouvernements qui régissent les organisations : l’autocratie, la bureaucratie, la technocratie, la cogestion, la démocratie.
Cette métaphore politique se rapproche de l’analyse stratégique développée par M. Crozier dans son ouvrage L’acteur et le Système et de l’école sociologique des organisations.
L’organisation vue comme une prison du psychisme
La métaphore de la prison du psychisme souligne le fait que les entreprises génèrent des images fortes qui emprisonnent d’une certaine manière leurs employés dans des schémas et des visions qui ne sont que le reflet d’une certaine réalité.
L’idée, largement développée par S. Freud, selon laquelle tout individu est prisonnier ou fruit de son expérience passée, peut être extrapolée à l’organisation. On peut ainsi considérer l’organisation comme un produit à la fois de la somme des individus et de leur histoire personnelle, et de l’histoire commune et collective de l’entreprise.
Concevoir l’organisation comme ayant de fortes données psychiques, c’est accepter de la comprendre et de l’analyser dans toute sa complexité et sa richesse, et attirer l’attention sur la dimension éthique de l’entreprise.
Le rapprochement fait par l’auteur entre la personnalité obsessionnelle de F.W. Taylor et sa théorie de l’organisation scientifique du travail illustre précisément qu’elle est le fruit des luttes intérieures d’une personnalité troublée et névrosée. La bureaucratie webérienne est aussi une forme d’organisation mécaniste de type obsessionnel.
Cette métaphore illustre l’école classique des organisations mais aussi l’école socio-technique. L’auteur se réfère à Eliott Jacques, un des membres fondateurs du Tavistock Institute of Human Relations de Londres, classé dans l’école socio-technique des organisations, qui a montré avec Isobel Menzies que certaines structures organisationnelles pouvaient s’interpréter comme des défenses sociales contre l’angoisse.
L’organisation vue comme flux et transformation
Cette métaphore offre une vision nouvelle de l’organisation. En considérant l’organisation comme un flux de transformation, on s’offre la possibilité de comprendre et de gérer le changement organisationnel.
À l’instar d’autres champs des sciences humaines, les approches de l’organisation ont été influencées par les travaux issus du champ des sciences dures. L’auteur distingue quatre mécanismes issus de théories ou de principes scientifiques comme :
la théorie de l’autopoïèse (vient du grec auto (soi-même), et poiésis (production, création)): ce concept sous-entend que les systèmes s’autoproduisent. Les organisations tentent sans cesse d’intégrer leur environnement dans un système d’interactions et cherchent à faire face à leur environnement tout en gardant leur identité propre;
la logique du chaos et de la complexité : cette théorie montre que tout système complexe génère en son sein des systèmes autorégulateurs ou d’auto-organisation spontanés. La mise en avant d’une telle théorie a des répercussions importantes en termes de logique de changement au sein des organisations;
les principes cybernétiques : il s’agit en réalité d’apporter un éclairage nouveau sur le fait qu’une action peut engendrer une série d’autres actions, ayant de plus en plus d’importance et qui, en fin décompté, peuvent produire l’inverse de la situation recherchée originellement;
la logique du changement dialectique : le principe dialectique veut que toute action engendre son contraire. Dans ce cas, il est prôné de réunir et d’intégrer dans une même logique, les éléments de l’une et l’autre des forces en présence.
K. Lewin fait le même constat: tout changement potentiel subit une résistance exercée par des forces qui travaillent dans le sens contraire. Sa solution est différente, elle réside dans l’élimination ou la réduction des forces à la résistance au profit de celles menant au changement.
L’organisation vue comme instrument de domination
L’image de l’organisation vue comme un instrument de domination prolonge celle du système politique et de la culture. Trois penseurs: M. Weber, qui appartient à l’école classique des organisations, R. Michels et K. Marx sont à l’origine de la prise en compte de cet aspect particulier del’organisation où tout au long de l’histoire, les organisations ont été associées de près ou de loin à des phénomènes de domination sociale : le pouvoir d’un petit nombre imposé à la majorité.
Conclusion
Cet ouvrage reste une source importante d’informations dans la mesure où l’organisation est étudiée et analysée sous différents angles. La somme des métaphores présentées par l’auteur approche d’une réalité existante.
L’image d’une organisation où la complexité empêche une juste compréhension est remplacée par une représentation « visuelle », qui s’exprime par le biais d’objets ou de concepts appartenant à notre environnement.
Le processus d’analogie entre réalité et image offre ainsi de grandes possibilités de réflexion mais reste une démarche intellectuelle à manier avec beaucoup de circonspection, dans la mesure où la représentation que l’on fait d’une situation reste parcellaire et jamais exhaustive.