Les approches théoriques contemporaines des organisations relèvent tous de la littérature scientifique anglo-saxonne et trouvent parfois leur source dans des publications plus ou moins anciennes.
Leurs apports conceptuels sont importants, et elles ont une réelle capacité à répondre à des questions essentielles aujourd’hui pour la compréhension du fonctionnement des organisations ; mais leurs implications managériales restent pour l’instant difficilement perceptibles.
Les courants de pensée les plus récents ne présentent pas plus d’unité que ceux qui ont dominé la réflexion managériale tout au long du xxe siècle. Les regards restent fragmentaires, la multiplicité des propositions de conceptualisation ne se laisse pas aisément enfermer dans un grand courant fédérateur.
Table de matières
Théorie de la dépendance des ressources et de l’écologie des populations
Ces deux écoles s’inscrivent dans l’approche systémique des organisations. La théorie de la dépendance des ressources considère que la survie d’une organisation est liée à sa capacité à gérer les attentes d’acteurs extérieurs dont elle dépend pour obtenir leurs ressources, ces dernières étant entendues au sens large. Cela revient à limiter considérablement le rôle des managers.
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Ces derniers n’auraient alors qu’une influence limitée sur l’organisation et ses performances et seraient en réalité soumis à toute une série de contraintes sur lesquelles ils n’ont que peu d’influence : les contraintes environnementales, les contraintes structurelles de l’organisation, les contraintes culturelles.
Cette approche théorique décrivant des managers sans véritable marge de manœuvre reflète bien la situation de firmes ayant un pouvoir de marché restreint et sans véritable contrôle sur la définition de leurs orientations stratégiques.
Dans le prolongement de cette approche, le courant de l’« écologie des populations » (ces dernières désignant ici des ensembles d’organisations) considère même que la survie des organisations relève d’une « sélection naturelle » opérée par l’environnement. Face à un contexte donné, certaines vont survivre parce qu’elles s’y sont mieux adaptées, d’autres vont disparaître parce que la mise en œuvre des changements en leur sein est trop lente ou inadéquate au regard des mutations environnementales.
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Ce courant de pensée, comme le précédent, considère que le management n’a pas de marge de manœuvre suffisante pour piloter efficacement les changements et que les organisations, in fine, ont peu de moyen d’agir sur leur propre destin.
Son originalité tient au fait qu’il s’est intéressé à des « populations » d’organisations, en essayant de comprendre quelles variables pouvaient déterminer la capacité d’une organisation à survivre ou non au sein d’une population.
Les théories néo-institutionnelles du management
Les premiers travaux théoriques
La représentation courante des managers est très influencée par l’image véhiculée par les premiers travaux théoriques qui valorisent la rationalité instrumentale censée fonder le comportement des individus dans l’organisation.
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les managers n’agissent pas comme des acteurs uniques et parfaitement rationnels. Ils sont influencés par des lois et règlements, par des normes sociales et culturelles, par des croyances, mais aussi par des routines organisationnelles et des rites qui leur permettent d’ailleurs de donner le sentiment qu’ils gardent le contrôle de leur environnement.
Autrement dit, ils agissent dans un cadre « institutionnel » et leurs actions ne peuvent être déconnectées des pressions institutionnelles : elles sont « le fruit d’une construction sociale et sont inscrites politiquement, culturellement et cognitivement » (Manageor, 2006).
Cela signifie par exemple qu’un manager peut agir en étant animé plus par la volonté d’affirmer sa légitimité institutionnelle que par le souci d’efficacité opérationnelle.
Autrement dit, ses choix ne sont pas nécessairement la réponse optimale au regard de la situation concurrentielle, mais la meilleure combinaison acceptable d’un point de vue institutionnel.
Cette approche théorique donne une autre explication au mimétisme stratégique. Les firmes d’un même secteur ayant donc les mêmes données environnementales, affrontant les mêmes concurrents, soumis aux pressions des mêmes fournisseurs-clés du secteur et aux exigences équivalentes de leurs clients appartiennent ainsi à un même « champ institutionnel ».
Elles finissent donc par adopter des choix similaires puisqu’elles agissent sous la pression des mêmes forces institutionnelles caractéristiques de leur champ.
Le mimétisme est encore renforcé lorsque les managers font face à un contexte incertain : plutôt que l’audace stratégique, ils préfèrent imiter les comportements les plus courants des autres organisations, ce qui a le mérite d’asseoir leur légitimité dans le champ institutionnel.
Évidemment, le néo-institutionnalisme semble considérer que les managers ne décident pas vraiment, et que l’organisation est un produit des processus institutionnels.
Cette conception revient à remettre en cause la rationalité des managers dont les comportements sont déterminés en dehors d’eux par les pressions du champ institutionnel.
Elle peut être rapprochée des préoccupations d’auteurs comme Granovetter qui pensent que les choix économiques sont influencés par les réseaux sociaux dans lesquels les décideurs sont « encastrés ».
Ces différents courants, objets de débats actuellement très vivants, soulignent à quel point les processus de gestion, et en particulier les décisions, gagnent à être analysés dans le contexte institutionnel des forces sociales, culturelles, politiques, cognitives dont l’influence a largement été sous-estimée jusqu’à présent par les sciences de gestion.
Les derniers développements de la théorie institutionnelle
Dans les années 1980, les précurseurs de ce mouvement, en particulier DiMaggio et Powell (1983) ou Meyer et Rowan (1983) considèrent les institutions comme statiques, stables et autoreproductrices (par les isomorphismes structurels notamment).
Depuis la fin des années 1990, une part importante des travaux du champ néo-institutionnaliste porte désormais sur les questions de l’émergence et du changement institutionnels.
L’idée est même développée d’un cycle de vie des institutions envisageant par là leur désinstitutionalisation. La désinstitutionalisation est définie comme : « [Le processus] de dé-légitimation d’une pratique organisationnelle établie ou d’une procédure suite aux défis organisationnels ou à l’échec d’organisations pour reproduire des actions organisationnelles considérées précédemment comme légitimes ou allant de soi. » Oliver, 2002.
Cependant, peu d’études empiriques portent sur ce processus. Différents facteurs sont à l’œuvre : pressions générales et sociétales mais surtout actions des acteurs du champ (facteurs internes à l’institution en déclin et développement de solutions alternatives par des membres du champ).
L’entrepreneur institutionnel
Une partie de la littérature néoinstitutionnelle s’est développée autour de la figure de l’entrepreneur institutionnel qui peut apparaître comme un moteur des dynamiques institutionnelles.
Selon DiMaggio (1988) : « De nouvelles institutions apparaissent lorsque des acteurs organisés détenant des ressources suffisantes (les entrepreneurs institutionnels) y voient une opportunité de concrétiser des intérêts auxquels ils accordent de l’importance. »
Plus précisément on peut définir les entrepreneurs institutionnels comme des individus ou des organisations qui créent des normes techniques et cognitives, des modèles et des prescriptions de comportement cohérents avec leur identité et leurs intérêts puis les établissent comme des standards légitimes.
Il est possible de distinguer deux parties dans l’activité d’entrepreneuriat institutionnel : la théorisation et la construction de coalitions. La condition d’apparition de telles situations est l’existence de chocs externes qui viennent déstabiliser les règles d’un champ institutionnel donné.
Institutionnalisation/désinstitutionnalisation
Théories évolutionnistes et postmodernisme
Comme leur nom l’indique, les courants évolutionnistes s’inspirent d’une approche darwinienne appliquée au management. Ils rassemblent différentes contributions qui ont pour particularité d’analyser l’organisation en tant que processus et non pas en tant que contenu.
C’est par exemple le point de vue adopté par Anthony Giddens. Cet auteur considère que la structure d’une organisation est à la fois un ensemble de codes abstraits qui encadrent le comportement des acteurs, et un produit des interactions sociales. Il y a donc « dualité » du structurel : « En tant qu’acteurs dans des situations sociales, les agents produisent les structures mais en même temps ils sont guidés par elles. » Desreumaux, 2005.
Autrement dit, il y a un processus de construction réciproque entre action et structure de l’organisation.
Dans une autre perspective, mais avec la même conception de l’organisation comme processus, Karl Weick refuse les approches traditionnelles présentant l’organisation comme une entité dotée d’objectifs et pouvant être décrite par des caractéristiques objectives de taille, d’activité, de technologie ou encore environnementales et idéologiques.
Pour lui, l’action organisationnelle ne relève pas d’une approche rationnelle bien maîtrisée, elle est une construction sociale en perpétuel mouvement, en transformation permanente.
Il adopte ainsi une conception « constructiviste » de l’organisation, mais aussi « interactionniste » puisque ce sont des interactions interindividuelles incessantes au sein de l’organisation qui expliquent cette dynamique permanente de construction/ déconstruction. Weick offre ainsi une nouvelle vision du comportement de l’organisation face aux évolutions de son environnement.
Si l’organisation réagit, c’est parce que les acteurs qui la composent ont intégré ces évolutions dans leurs schémas cognitifs : ils « enactent » leur environnement. Cette notion d’« enactment » signifie que la réalité et les caractéristiques objectives des événements importent moins que leur interprétation par les acteurs et le sens que cela revêt pour leur action.
On ne peut donc pas avoir une vision générale des organisations puisque les acteurs sélectionnent dans la masse des données de leur environnement des variations auxquelles ils accordent une importance plus grande qu’à d’autres, ce processus de sélection n’étant pas le même d’une organisation à une autre.
Pour cette raison, on peut dire que l’organisation « crée » son environnement : ce dernier n’est pas une donnée, il est considéré comme une production sociale des acteurs.
Le processus de construction par interactions s’explique alors ainsi : un acteur interprète un événement en lui donnant du sens en fonction de ses expériences passées, plus exactement de sa structure cognitive fondée à un moment donné sur ses croyances antérieures (résultant du travail d’« enactment » qu’il a réalisé face à des événements précédents), puis cette interprétation est modifiée ou non par interaction avec un autre acteur, ce qui va amener le premier à abandonner, réviser ou maintenir son choix initial.
En fin de compte, ce cycle d’interactions aboutit à la construction collective d’un sens à partir d’un événement considéré comme équivoque.
La survie de l’organisation, on le comprend aisément, dépend de la pertinence du sens ainsi construit au regard des variations environnementales.
Weick estime que plus les possibilités se multiplient (donc plus les variations du contexte sont nombreuses), plus les interactions parviennent à sortir des routines, plus la créativité est encouragée et plus se développera l’intelligence collective garante de la pérennité organisationnelle car favorisant la compréhension de phénomènes inattendus.
On remarquera l’importance accordée par Weick à la dimension cognitive (c’est-à-dire les modes de raisonnements et les manières d’analyser et d’interpréter l’information qui sont propres à chaque organisation) ; en cela, il se rapproche des travaux d’Argyris et Schön sur l’apprentissage organisationnel (voir plus haut).
Le courant « postmodernisme » s’inscrit dans la même logique réfutant l’approche des organisations en tant qu’entités dotées de propriétés stables, maîtrisées et contrôlées par une démarche rationnelle.
La pensée postmoderne est d’inspiration philosophique (elle s’appuie sur les travaux de Michel Foucault en particulier).
Elle suppose un regard systématiquement critique sur soi-même et sur ses propres pratiques ; dès lors, on considère que rien n’est acquis a priori, tout doit être remis en cause dans un travail de déconstruction-reconstruction.
L’approche postmoderne encourage ainsi, dans les situations où le gestionnaire doit décider, à envisager de nombreuses perspectives, mêmes paradoxales voire saugrenues.
Elle fait de la diversité une valeur fondamentale : l’essentiel est de ne pas se laisser enfermer dans les logiques de domination que dissimulent (mal, d’ailleurs) les points de vue uniques. Prenons un exemple de point de vue postmoderniste pour illustrer notre propos.
On a déjà évoqué à plusieurs reprises les comportements « mimétiques » en matière de stratégie, les managers décidant comme s’il existait une sorte de pensée unique à laquelle ils chercheraient à se conformer.
Le manager « postmoderne » sensibilisé à l’approche réflexive (c’est-à-dire à la réflexion permanente sur soimême et ses méthodes) pensera que la manière conventionnelle d’envisager les phénomènes conduit à considérer ces derniers comme acquis et interdit d’envisager des analyses et des solutions alternatives. Mais il prend alors le risque de perdre sa légitimité dans son champ institutionnel, comme le soulignent les néo institutionnalistes…