« Les cinq forces de la concurrence », « la chaîne de valeur » : les concepts élaborés par Michael PORTER sont incontournables dans les études de cas de stratégie. Le premier d’entre eux a été présenté en 1982, dans l’ouvrage intitulé Choix stratégiques et concurrence.
Trois ans plus tard, le livre résumé ici recourt à la chaîne de valeur pour traiter plusieurs questions fondamentales concernant l’avantage concurrentiel. Comment acquérir un avantage concurrentiel durable ? Comment les interconnexions permettent-elles de renforcer un avantage concurrentiel ? Quelles sont les implications stratégiques des solutions correspondant à ces deux problèmes ? Les réponses à ces trois questions constituent l’essence même du livre.
Table de matières
Acquisition d’un avantage concurrentiel
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de définir le principe d’avantage concurrentiel. C’est ce que fait l’auteur en le décrivant comme « la valeur qu’une firme peut créer pour ses clients en sus des coûts supportés par la firme pour la créer ». Il est par conséquent capital pour une entreprise d’identifier ses sources d’avantage concurrentiel, avant bien sûr de les exploiter.
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Un instrument d’analyse : la chaîne de valeur
Ce travail de prospection repose presque entièrement sur l’utilisation de la chaîne de la valeur comme instrument d’analyse. Elle schématise l’imbrication des activités créatrices de valeur en distinguant activités principales (logistique interne, production, logistique externe, commercialisation et vente, services) et de soutien (approvisionnements, développement technologique, gestion des ressources humaines et infrastructures de la firme).
Cette décomposition montre l’impact de chaque activité en termes de coûts ou son potentiel dans une optique de différenciation.
D’autre part, ces activités sont liées les unes aux autres par des mécanismes d’optimisation (il peut être nécessaire d’arbitrer entre deux activités) ou de coordination dont l’impact sur les coûts et les performances de la firme sont considérables.
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Il existe également des liaisons externes ( ou « verticales »), quand la chaîne de valeur de la firme est en contact avec celles des clients fournisseurs et distributeurs. Elle s’intègre ainsi dans un système de valeur (selon la terminologie de l’ouvrage).
Les différentes sources d’avantage concurrentiel apparaissent alors clairement.
D’une façon ou d’une autre, ces dernières se traduisent soit par une inflexion des coûts supportés par la firme, soit par un impact sur sa différenciation.
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Ces deux types d’avantage concurrentiel, combinés au champ des activités sur lequel la firme s’appuie pour les obtenir, définissent trois stratégies de base pour atteindre des résultats supérieurs à la moyenne du secteur.
Il s’agit de la domination par les coûts, de la différenciation et de la concentration de l’activité. Cette dernière est toutefois particulière dans la mesure ou elle repose sur l’exploitation d’un avantage concurrentiel (que ce soit par les coûts ou la différenciation) à l’intérieur d’une cible étroite.
L’auteur insiste fortement sur le danger qu’il y aurait à refuser de choisir entre ces trois stratégies de base. Selon lui, «l’enlisement dans la voie médiane » conduit inévitablement à des résultats inférieurs à la moyenne du secteur, sauf à ce que tous les concurrents commettent cette même erreur.
Cela ne doit pas empêcher une firme de réduire les coûts n’entraînant pas de sacrifice sur la différenciation ni de saisir les opportunités de différenciation qui ne sont pas coûteuses. Simplement, au-delà de ces ajustements, elle doit choisir l’avantage qui sera en définitive le sien.
L’avantage par les coûts
L’obtention d’un tel avantage n’est possible qu’en exerçant les activités créatrices de valeur à un coût cumulé inférieur à celui des concurrents. La chaîne de valeur est donc là encore l’instrument privilégié par l’auteur pour mener son analyse.
Elle permet en effet d’étudier les coûts liés aux activités créatrices de valeur et non à l’ensemble de la firme. Il devient alors possible d’associer les coûts et les actifs à ces activités. La comparaison qui en découle peut révéler des potentialités d’amélioration des coûts.
C’est toutefois l’analyse du comportement des coûts des activités, et donc de leurs facteurs d’évolution, qui doit ici retenir l’attention. Ces facteurs sont (selon l’auteur) au nombre de dix : les économies d’échelle, l’effet d’apprentissage, la configuration de l’utilisation des capacités, les liaisons, les interconnexions, l’intégration, le calendrier, les mesures discrétionnaires, la localisation et les facteurs institutionnels.
Ces facteurs se combinent pour déterminer le coût de chacune des activités et par conséquent la position de la firme vis à vis de la concurrence.
Ce travail, réalisé sur la base de données statique, se complète nécessairement d’une étude de la dynamique des coûts. Il s’agit cette fois de prévoir le sens de variation des facteurs d’évolution et donc d’identifier les activités dont les coûts croîtront ou diminueront.
En procédant de la sorte, une firme se donne les moyens de déterminer sa position relative à l’égard des coûts.
La comparaison, même approximative, avec la situation de ses concurrents lui permet de choisir entre l’obtention d’un avantage par la maîtrise des facteurs d’évolution des coûts et le remodelage de la chaîne de valeur (par une amélioration de la conception, de la fabrication, de la distribution…).
Il est également possible de mener de front ces deux actions. Un avantage durable par les coûts ne peut d’ailleurs provenir que d’une combinaison de telles mesures.
Enfin, il ne faut pas oublier que l’avantage par les coûts ne conduit à des résultats supérieurs à la moyenne que si la firme offre une valeur acceptable au client.
La différenciation
La différenciation atteinte par une firme est la valeur qu’elle crée pour ses clients en répondant à tous les critères d’achat.
Les sources de différenciation sont multiples. Elles ne résultent pas seulement des attributs du produit ou de la politique commerciale, mais de l’ensemble des activités de la chaîne de valeur, voire d’activités situées en aval. Il ne faut donc pas faire de confusion avec la notion de qualité, qui n’est qu’une composante de la différenciation.
Le renforcement de la différenciation résulte de la multiplication des éléments d’unicité ou de singularité dont bénéficie la firme. En fait, les liens entre la chaîne de valeur de l’entreprise et celle du client sont autant de possibilités de différenciation.
Il reste toutefois à signaler la valeur ainsi créée. Le client ne paie en effet que pour une valeur perçue. Il peut même payer un surprix plus important pour une valeur plus faible, si celle-ci est mieux signalée.
La réussite d’une telle stratégie dépend donc autant de critères de signalisation (publicité, notoriété) que de ceux d’utilisation (valeur réellement créée : qualité du produit, délai de livraison…).
La différenciation donne des résultats supérieurs à la moyenne quand la valeur perçue par le client dépasse son coût. Ce dernier est lié aux facteurs d’évolution des coûts dans les activités qui engendrent l’unicité de la firme.
La performance sera d’autant plus durable que les clients percevront en permanence le surcroît de valeur et que les concurrents ne pourront l’imiter. Il faut toutefois agir avec mesure et éviter une différenciation excessive, ou encore assimiler unicité et valeur créée.
Eléments influant à la fois sur l’avantage concurrentiel et la structure du secteur
La technologie est le premier de ces éléments. Ce terme ne recouvre pas seulement les activités de recherche et de développement, mais l’ensemble des technologies utilisées par l’entreprise, quelle que soit leur nature (il peut par exemple s’agir d’un ensemble de procédures). La chaîne de valeur va donc une nouvelle fois servir d’instrument d’analyse.
Son intérêt est d’autant plus important qu’il existe des interdépendances considérables avec les technologies des clients et des fournisseurs. Le distinguo entre technologies « hautes » ou « basses » n’a par conséquent aucun intérêt ici. Seul compte en effet le lien entre technologie et concurrence.
Si la technologie a une influence directe sur les coûts ou la différenciation, elle intervient dans l’avantage concurrentiel en modifiant les autres facteurs d’évolution des coûts ou d’unicité. Elle peut également peser sur chacune des cinq forces de la concurrence, en particulier au niveau des barrières à l’entrée. Il convient donc de privilégier les technologies qui ont les effets durables les plus importants sur les coûts ou la différenciation, ce qui n’a rien à voir avec leur degré de sophistication.
Du fait de ce rôle majeur dans l’obtention d’un avantage concurrentiel, il faut également considérer l’évolution de la technologie. En se donnant les moyens de l’anticiper, une firme peut prendre les initiatives adéquates et donc s’approprier ou renforcer un avantage concurrentiel.
Ce travail de prévision repose le plus souvent sur le modèle du cycle de vie. En phase de croissance, les innovations portent principalement sur le produit. Une fois la maturité atteinte, l’objectif est de rationaliser une production en masse, d’où des efforts centrés sur l’amélioration des procédés de fabrication. Quand approche le déclin, les innovations se raréfient, les investissements technologiques atteignant le seuil des rendements décroissants.
Toutefois, il ne faut pas oublier que les prévisions portant sur la technologie doivent être considérées avec prudence, tant l’incertitude est forte en ce domaine. Ce rappel vaut tout autant pour le choix des technologies à développer que pour la décision d’être ou non précurseur, ou encore l’octroi de licences d’exploitation.
Le choix des concurrents est le deuxième élément à influer à la fois sur l’avantage concurrentiel et la structure du secteur. Il s’agit peut être là du chapitre le plus intéressant du livre dans la mesure où il va à l’encontre de bien des idées reçues.
Le raisonnement consiste en effet à dire que les concurrents peuvent renforcer la compétitivité de la firme et améliorer la structure du secteur. Il peut donc être préférable de renoncer délibérément à un accroissement de la part de marché.
Les choses ne sont toutefois pas si simples, dans la mesure où il s’agit là du comportement à adopter vis à vis des « bons » concurrents, tandis qu’il conviendrait de focaliser les attaques sur les « mauvais ».
Michael PORTER explique comme suit les avantages qui découlent de la présence de concurrents bien choisis.
Un tel concurrent peut d’abord servir de bouclier à la firme, et ce de plusieurs façons. En absorbant les fluctuations de la demande, il permettra de conserver un niveau d’activité élevé malgré une détérioration de la conjoncture.
En desservant des segments inintéressants, peu rentables, où les clients disposent d’un pouvoir de négociation important. En ayant des coûts plus élevés, ce qui permet à la firme de dégager une marge accrue. En stimulant les capacités créatrices par le phénomène de base qu’est la compétition…
Sur un plan plus global, la présence de concurrents permet d’éviter des poursuites pour position dominante, voire monopole (l’exemple de Microsoft vient immédiatement à l’esprit). Elle exerce surtout un effet dissuasif sur l’entrée d’une nouvelle firme.
Elle rend en effet plus probable le déclenchement de représailles violentes à l’encontre d’un nouvel entrant. Celui-ci aura peut-être déjà été découragé par la situation médiocre des « bons » concurrents, qui sont une illustration des difficultés que connaissent les firmes de second plan.
Pour obtenir ces effets, il faut d’abord déterminer les caractéristiques d’un bon concurrent. Schématiquement, il doit être crédible et cohérent dans ses prises de décision, mais tout en souffrant de faiblesses dont il est conscient.
Ceci limite ses ambitions, et donc le risque que ses actions aillent à l’encontre de la stratégie de la firme, mais le conduit à adopter une stratégie qui renforce les éléments favorables de la structure du secteur. Evidemment, aucun concurrent n’est « bon » à 100% !
(Le même raisonnement devra être mené par une firme qui n’est pas en mesure de devenir leader. Elle devra en effet choisir un secteur contrôlé par un « bon » leader, c’est à dire une entreprise dont la stratégie permettra de bénéficier d’une protection derrière laquelle la firme pourra vivre et être rentable.)
La firme désireuse de se rapprocher d’une telle configuration de la concurrence peut d’abord mener une politique de dissuasion et de représailles collectives, ciblée sur les « mauvais » concurrents potentiels.
A l’inverse, l’entrée des « bons » concurrents sera facilitée par la conclusion d’accords d’approvisionnement ou de distribution, voire la délivrance de licences d’exploitation d’une technologie.
Quels que soient les moyens employés pour y parvenir, l’objectif ultime en ce domaine est d’atteindre une part de marché suffisante pour décourager toute attaque et qui, combinée aux autres avantages concurrentiels, préserve l’équilibre du marché.
Interactions avec le champ concurrentiel
Cette partie du livre examine l’interaction entre le champ concurrentiel et l’avantage détenu par la firme dans un secteur. Cela passe par les moyens de segmenter un secteur et les facteurs de remplacement d’un produit.
La segmentation d’un secteur vise à déterminer le champ concurrentiel de la firme et donc les segments qu’elle doit desservir.
Des différences entre produits engendrent des segments si elles modifient l’intensité d’une des cinq forces de la concurrence ou quand elles influent sur les conditions d’un avantage concurrentiel.
Les variables de segmentation sont : la variété du produit, le type de client, le circuit de distribution et la localisation géographique. La combinaison de ces variables permet d’établir une segmentation globale du secteur. Prises deux par deux, elles conduisent à établir des matrices de segmentation.
L’étape suivante concerne la stratégie concurrentielle, puisqu’il s’agit de déterminer l’attractivité de chacun des segments qui ont été définis. Elle est bien sûr fonction de l’attrait structurel du segment (en mesurant les cinq forces de la concurrence), mais aussi de sa dimension, de sa croissance, de la position de la firme et des interconnexions (c’est à dire des liens existant entre plusieurs segments pour lesquels des activités de la chaîne de valeur peuvent être mises en commun). Ce dernier point est absolument crucial.
En effet, de fortes interconnexions incitent à développer une stratégie correspondant à une cible large. Mais la mise en commun d’activités entraîne des coûts de coordination, de compromis (quand la chaîne de valeur n’est pas optimale pour desservir tous les segments) et de rigidité.
Il n’est donc pas systématiquement intéressant de desservir tous les segments d’un secteur. Dans ce cas, la décision se portera sur une stratégie de concentration par optimisation de la chaîne de valeur pour desservir un ou quelques segments.
Cette stratégie sera viable face à des concurrents à cible large si la chaîne de valeur optimale (adoptée par la firme) diffère sensiblement de celle requise pour desservir d’autres segments.
Par contre, face aux imitateurs, elle ne fonctionnera que si la firme bénéficie d’un avantage concurrentiel durable résultant d’économies d’échelle (même modestes et réalisées dans un petit segment, elles permettent de garder l’avantage, surtout si elles ne peuvent être compensées par des interconnexions).
Le remplacement consiste à supplanter un produit ou une méthode de production en remplissant à sa place une ou plusieurs fonctions particulières.
Cette définition est importante, dans la mesure où elle évite de commettre une erreur de méthode dans l’identification des produits de remplacement. Car c’est bien par la recherche de produits ayant les mêmes fonctions génériques (c’est à dire un rôle identique dans la chaîne de valeur du client), et non la même forme qu’il faut procéder.
Par ailleurs, les produits de remplacement ne sont pas toujours des produits différents. Le client peut par exemple ne rien acheter, en décidant de renoncer aux fonctions correspondantes. Le progrès technique, quant à lui, permet souvent de diminuer le taux d’utilisation du produit. Le recours aux produits usagés, recyclés ou reconditionnés ne doit pas être négligé.
L’intégration en amont (souvent par l’achat direct auprès du fabricant) constitue le dernier mode de remplacement potentiel. Toutefois, les menaces de remplacement ne viennent pas seulement des produits de remplacement, mais aussi des remplacements en aval touchant directement le client.
Un produit peut être affecté par la disparition d’un produit complémentaire alors que lui-même ne subit aucune menace directe.
Le mécanisme de remplacement résulte de la combinaison de trois facteurs. Le premier est la comparaison entre la valeur et le prix du produit de remplacement avec celui du produit du secteur.
L’auteur parle ici de rapport relatif entre la valeur et le prix (RRVP). Le deuxième facteur est représenté par les coûts de conversion nécessaires à l’adoption du produit de remplacement (adoption de nouvelles sources d’approvisionnement, réapprentissage, risque d’échec…). Le troisième est la propension du client à changer de produit (dépendant largement du profil de risque ou des remplacements antérieurs).
L’évolution de la menace est donc fonction des changements dans les prix relatifs, dans la valeur relative, dans la valeur perçue par les clients, dans les coûts de conversion et dans la propension à changer de produit.
Ces changements déterminent le cheminement du remplacement. Ce dernier débute à un rythme modeste, c’est la phase « d’information et d’essai ». Vient ensuite la phase de « décollage »en direction d’une limite supérieure constituée par le nombre de clients potentiellement intéressés, nombre qui peut bien sûr varier dans le temps en fonction de l’évolution technologique.
Compte tenu de ce qui précède, une entreprise désireuse de lancer un produit de remplacement peut cibler ses efforts sur les clients les plus disposés à changer de produit, améliorer son offre dans les domaines où le RRVP est le plus élevé, réduire les coûts de conversion…
Inversement, la défense d’un produit en place peut passer par la découverte de nouvelles utilisations sur lesquelles le produit de remplacement n’a pas d’effet, réorienter la concurrence en l’éloignant des points forts du produit de remplacement, ou encore amener les distributeurs à contribuer à la défense.
De nombreuses erreurs peuvent être commises dans la lutte contre les produits de remplacement, mais la plus grave est sans doute celle qui consiste à tenir la maturité du produit comme acquise et donc son remplacement impossible.
Interconnexions et stratégie horizontale
L’objectif est ici de décrire la stratégie globale d’une firme diversifiée. La question centrale concerne l’exploitation des interconnexions entre les unités pour l’obtention d’un avantage concurrentiel.
Les interconnexions entre unités de l’entreprise
Au cours des années 70, de nombreuses entreprises s’étaient diversifiées en invoquant le prétexte de synergies entre leurs activités. Cette politique ne s’est malheureusement pas avérée payante, sans doute à cause d’un manque de discernement dans les acquisitions ou de l’absence des outils d’analyse nécessaire. Il en est résulté une nouvelle mode, celle de la décentralisation des activités.
Toutefois, les évolutions observées par Michael PORTER l’ont conduit à recommander l’adoption d’une stratégie horizontale. Il s’agit de coordonner les divisions de la firme afin d’apporter à cette dernière un avantage comparatif.
Pour appuyer son raisonnement, l’auteur se base sur quatre points.
Premièrement, les années 1980 ont vu une transformation du mode de diversification : les acquisitions concernent des domaines connexes. Ensuite, la croissance ayant sensiblement ralenti, la priorité est donnée aux résultats, et par conséquent à l’avantage concurrentiel.
D’autre part, les progrès techniques facilitent l’exploitation des interconnexions. Enfin, seule la stratégie horizontale offre la perspective globale nécessaire pour faire face à des concurrents multipolaires.
Pour parvenir à ces résultats, l’auteur identifie trois types d’interconnexions, qui peuvent d’ailleurs coexister.
Les interconnexions tangibles correspondent au partage d’activités entre les unités de la firme. Elles peuvent concerner n’importe quelle activité créatrice de valeur et créer un avantage concurrentiel par une baisse des coûts ou une différenciation accrue. Elles entraînent toutefois des coûts de coordination, de compromis et de rigidité.
Les interconnexions intangibles voient le transfert d’un savoir-faire entre les chaînes de valeur de deux unités. Impliquant la diffusion des mêmes compétences, elles conduisent souvent à l’uniformisation des stratégies de base. Il s’agit néanmoins d’un processus délicat, car le savoir-faire est une notion très subjective.
Les interconnexions de concurrence, enfin, existent quand une firme lutte contre des rivales diversifiées par l’intermédiaire de plusieurs unités.
La stratégie horizontale
Les firmes diversifiées réaliseront difficilement une performance globale élevée par la simple optimisation des résultats de leurs différentes unités. Cette remarque vaut surtout pour les entreprises où les décisions sont largement décentralisées, ce qui nuit à l’exploitation des interconnexions.
En effet, les responsables des unités formulent alors leurs stratégies sans la moindre concertation et peuvent même avancer dans des directions incompatibles. Pour résoudre ce problème, il est nécessaire d’adopter une stratégie horizontale explicite.
Cette dernière requiert une formulation en plusieurs étapes. Il s’agit d’abord d’identifier les interconnexions existantes, d’en trouver éventuellement à l’extérieur de la firme, de déterminer celles de la concurrence et enfin d’évaluer leur importance pour l’avantage concurrentiel.
Il devient alors possible d’élaborer une stratégie horizontale coordonnée visant à exploiter et renforcer les interconnexions les plus importantes.
C’est en procédant de la sorte qu’une stratégie de diversification peut accroître un avantage concurrentiel dans les secteurs déjà investis ou créer un avantage durable dans de nouveaux secteurs.
Il faut toutefois rester prudent dans la recherche des interconnexions. Il ne faut ni les négliger, ni s’imaginer que la moindre ressemblance superficielle dans la technologie ou les procédures est une interconnexion potentielle.
Par ailleurs, même des interconnexions offrant un réel intérêt peuvent se révéler difficiles à mettre en place. C’est le cas quand les avantages procurés ne sont pas (ou ne semblent pas) répartis de manière égale entre les unités.
Les responsables de ces dernières peuvent aussi craindre une perte d’autonomie, surtout si la culture répandue dans l’entreprise jusqu’à présent a été une décentralisation poussée, avec une identité propre à chaque division.
Pour venir à bout de ces entraves et de ces résistances, l’auteur propose la mise en place d’une organisation horizontale. Celle-ci relie entre elles les unités dans le cadre d’une structure verticale et facilite donc les interconnexions.
Cette organisation repose sur quatre éléments. La structure horizontale correspond à un découpage transverse dans certains domaines, au regroupement d’unités ou à une centralisation partielle. Les systèmes horizontaux concernent la gestion transverse de la planification, du contrôle et du choix des investissements.
Les pratiques horizontales des ressources humaines sont destinées à faciliter la coopération. Enfin, des structures horizontales de résolution des conflits peuvent se révéler nécessaires. La combinaison de ces éléments horizontaux et d’une structure verticale (sans correspondre pour autant à une structure matricielle) semble suffisamment novatrice à l’auteur pour parler d’une nouvelle forme d’organisation.
Les produits complémentaires
Il s’agit d’un cas particulier d’interconnexion, un produit étant utilisé pour en compléter d’autres. Les produits complémentaires sont donc une forme de liaison entre secteurs. Leur existence nécessite un choix entre trois pratiques.
Le contrôle direct des produits complémentaires voit la firme offrir la gamme complète des produits complémentaires. Il peut renforcer un avantage concurrentiel en tirant parti des interconnexions ou d’une différence accrue grâce à une offre complète.
Malheureusement, il n’existe pas toujours d’interconnexions, ou certains des secteurs concernés peuvent ne pas être attrayants. Quoi qu’il en soit, les produits complémentaires sont le plus souvent si nombreux que la seule solution consiste à se concentrer sur les plus stratégiques d’entre eux.
Le bottelage correspond, lui, à la vente de produits complémentaires exclusivement sous forme de blocs. Constituant une réponse unique quels que soient les besoins des clients, cette pratique est sous-optimale. Les interconnexions et l’accroissement de la différenciation peuvent certes la rendre intéressante.
Néanmoins, le risque demeure que les clients soient capables de réunir eux-mêmes les lots auprès de firmes spécialisées offrant les articles à des conditions plus favorables. Or ce risque a tendance à augmenter au fur et à mesure que les clients acquièrent la maîtrise de la technologie et donc la capacité d’acheter élément par élément.
La subvention croisée, enfin, voit la firme vendre un produit de base à des conditions facilitant la vente de produits complémentaires plus rentables. Cela suppose une sensibilité au prix élevée pour le produit de base, mais faible pour le bien rentable, ainsi qu’un lien étroit entre les deux. Bien sûr, le client risque de n’acheter que le produit de base, tandis que les conditions évoquées plus haut peuvent disparaître avec l’évolution du secteur. Dans ce cas, l’entreprise doit être prête à abandonner le subventionnement croisé.
Implications stratégiques
L’auteur achève cet ouvrage en développant les impacts des raisonnements qui précèdent sur la stratégie concurrentielle. Il donne ainsi quelques éléments sur le traitement de l’incertitude, ainsi que sur les stratégies offensives et défensives.
Le rôle des scénarios sectoriels
Jusque dans les années 1980, les scénarios élaborés par les firmes mettaient l’accent sur les facteurs macroéconomiques et macropolitiques. Toutefois, de tels macroscénarios ne sont pas pertinents pour l’analyse d’un secteur particulier. C’est ainsi qu’est né le besoin de scénarios sectoriels.
La démarche visant à obtenir une vision cohérente de ce que pourrait être l’avenir comprend plusieurs étapes. Il s’agit d’abord d’identifier les incertitudes susceptibles d’influer sur la structure du secteur et d’en déterminer les facteurs causals.
Les hypothèses portant sur ces derniers sont ensuite combinées pour aboutir à des scénarios cohérents. Il reste alors à analyser les implications de chacun des scénarios (structure du secteur, sources d’avantage concurrentiel ou comportement des concurrents). Il existe bien sûr des boucles de rétroaction entre ces différentes phases.
Une fois les scénarios élaborés, cinq solutions s’offrent à l’entreprise. Elle peut parier sur le scénario le plus probable ou celui qui lui est le plus favorable.
Elle peut aussi choisir une stratégie viable quel que soit le scénario qui se réalise (mais un tel compromis n’est jamais optimal) ou une qui permette de conserver suffisamment de flexibilité jusqu’à ce que l’un des scénarios se concrétise.
La dernière solution est d’user de ses ressources pour favoriser la concrétisation de l’un des scénarios.
Ces solutions n’étant pas incompatibles entre elles, il est parfois intéressant de les combiner ou de passer de l’une à l’autre.
Les stratégies défensives
Une stratégie visant à se défendre face à un nouvel entrant est évolutive. Elle correspond en effet au degré d’avancement de ce dernier dans son plan de conquête.
Ainsi, il commence par réaliser des études, afin de mieux connaître son futur marché. Puis vient la phase d’entrée proprement dite, accompagnée d’investissements destinés à se constituer une position viable. Il enchaîne ensuite avec l’application de sa stratégie de long terme.
La période postérieure à l’entrée, enfin, se traduit par des investissements visant à consolider sa position.
Plus la démarche de l’entrant est avancée, plus les obstacles à la sortie sont élevés (à cause des efforts financiers consentis) et plus la stratégie défensive sera coûteuse. Les tactiques défensives les plus efficaces seront donc celles qui décourageront les tentatives, plutôt que celles visant à chasser une firme ayant largement entamé son processus.
Cela passe par un renforcement des barrières à l’entrée (en comblant les vides existant dans la gamme, en augmentant les coûts de conversion pour les clients ou en accroissant les besoins en capitaux…) ou par un accroissement de l’attente d’une riposte (en signalant la volonté de se défendre, en montrant clairement les obstacles possibles, en accumulant des ressources).
Il est également possible de réduire les incitations à attaquer grâce à une réduction du profit du secteur.
Quoi qu’il en soit, la meilleure stratégie défensive consiste à dissuader toute attaque. Si elle échoue, il faudra certes passer à une stratégie de réaction, mais en ayant toujours pour objectif d’altérer la perception que le nouvel entrant peut avoir du secteur et de ses chances de réussite.
Les stratégies offensives
Une stratégie offensive ne doit surtout pas consister en une politique d’imitation du leader, mais au contraire reposer sur un avantage concurrentiel durable (que ce soit au niveau des coûts ou de la différenciation). Par contre, il lui faudra être proche du leader dans les autres activités créatrices de valeur. Dans le cas contraire, son avantage concurrentiel ne suffira pas à compenser celui du leader.
Dans la pratique, l’attaquant peut opérer de trois manières.
Le remodelage de la chaîne de valeur lui permet d’exercer différemment certaines activités. Cette solution est viable si elle se révèle difficilement imitable pour le leader.
Une redéfinition du champ concurrentiel se traduira soit par un élargissement visant à exploiter des interconnexions, soit par un rétrécissement pour ne plus desservir qu’une cible particulière avec une chaîne de valeur optimisée.
Ces deux premières stratégies offrent l’intérêt de souvent entraver la réplique du leader, en obligeant ce dernier à aller à l’encontre de sa stratégie habituelle pour se défendre.
La surenchère dans la dépense, enfin, est la plus simple à concevoir, mais aussi la plus risquée.