La stratégie délibérée

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Traditionnellement, on considérait que les entreprises élaboraient rationnellement leurs décisions. La planification design ainsi l’élaboration de la stratégie grâce à des procédures systématisés. la stratégie délibérée peut résulter de la volonté d’un dirigeant. Il peut aussi s’agir d’un processus de planification stratégique impliquant de nombreux managers. Enfin, la stratégie de l’organisation peut lui être imposée par son environnement.

Le rôle du dirigeant

La stratégie délibérée est l’expression d’une orientation intentionnellement formulée ou planifiée. Elle peut résulter de la volonté d’un dirigeant (appelé leader stratégique). Donc L’élaboration de la stratégie peut être fortement associée à un individu (ou parfois un petit groupe d’individus) qui semble l’incarner.

Le rôle central de ces leaders stratégiques peut résulter du fait que les autres managers, qui acceptent volontiers de s’incliner devant leur personnalité, leur réputation ou leur position, admettent que les décisions stratégiques leur échoient. Dans certaines organisations, le rôle central d’un individu s’explique simplement par le fait qu’il ou elle en est le fondateur ou le propriétaire. C’est souvent le cas dans les PME, et cette influence peut persister lorsque l’organisation grandit.

Le leader stratégique n’est pas nécessairement le fondateur de l’organisation. Parfois, il personnifie une stratégie gagnante qui a permis de sortir brillamment d’une période de crise ou de doute. De nombreuses recherches faites montrées que la stratégie peut être considérée comme le résultat de l’intention délibérée du dirigeant. L’origine de cette intention peut cependant être expliquée de plusieurs manières .

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  • L’autorité : La stratégie d’une organisation peut être dictée par un individu. Cette situation est fréquente dans les petites entreprises, où le dirigeant fondateur est en prise directe avec les activités opérationnelles. Danny Miller et Isabelle Le Breton-Miller, de HEC Montréal, soulignent que cette situation présente des avantages et des inconvénients.

Cela peut permettre une adaptation rapide des stratégies, ainsi que le déploiement d’idées « innovantes, audacieuses et décalées, très difficiles à imiter par les concurrents ». Cependant, les stratégies autocratiques peuvent aussi déboucher sur « l’arrogance, l’imprudence, l’excentricité et le manque de cohérence ».

  • La vision : Les leaders peuvent être associés à une intention stratégique, une mission ou une vision, même s’ils n’en sont pas nécessairement les initiateurs. Cette vision renforce la motivation des membres de l’organisation, suscite des croyances partagées et construit un cadre à l’intérieur duquel des stratégies détaillées peuvent être élaborées . Par exemple, la vision d’Ingvar Kamprad, le fondateur d’IKEA- «Créer un meilleur quotidien pour le plus grand nombre» – a guidé et motivé ses salariés pendant des décennies.
  • La décision : Il est probable que quels que soient les processus stratégiques en place, des opinions différentes s’affrontent au sein de l’organisation, aucune ne reposant sur suffisamment d’arguments pour s’imposer de manière incontestable. Un des rôles des dirigeants est alors d’évaluer ces opinions, d’interpréter les données, puis de trancher et de faire accepter leur décision à tous.
  • L’incarnation : Un dirigeant doit incarner la stratégie de son organisation, même s’il ne la dirige pas personnellement.

A côté de ces intentions la stratégie doit prendre en considérations les valeurs de dirigeant. En effet, une stratégie qui entre en conflit avec les valeurs des dirigeants n’est pas viable même si ses valeurs n’agissent pas toujours de manière aussi visible ou aussi spectaculaire.

Elles colorent cependant toujours les perceptions des responsables et modifient de manière importante leurs analyses, leurs appréciations et leur vision du monde. Elles peuvent agir comme des œillères ou, au contraire, comme des avertisseurs.

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C’est pour cela que l’analyse qui mène à la formulation de la stratégie doit souvent faire une petite pause afin de permettre aux dirigeants de bien comprendre les croyances et valeurs qui les animent et la compatibilité entre celles-ci et les choix stratégiques établis.

La planification stratégique

La stratégie délibérée se développe aussi au travers des systèmes de planification.

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La planification stratégique vise à élaborer la stratégie d’une organisation grâce à des procédures systématisées et séquentielles. Dans une étude consacrée aux systèmes de planification stratégique utilisés dans les grandes compagnies pétrolières, Rob Grant, de l’université Bocconi, a identifié les étapes suivantes :

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  • Directives initiales. Le point de départ du cycle est généralement un ensemble d’hypothèses sur l’environnement externe (par exemple, les niveaux de prix et les conditions d’offre et de demande), mais aussi les priorités globales et les attentes de la direction générale.
  • Plans locaux. À la suite de cette première étape, les unités opérationnelles (domaines d’activité stratégique ou divisions) élaborent des plans stratégiques.

Les managers de la direction générale organisent ensuite des réunions avec les responsables des unités pour discuter de ces plans. Sur la base de ces discussions, les unités opérationnelles modifient leurs plans initiaux.

  • Plan global. Le plan d’ensemble résulte de l’agrégation des plans rédigés par les unités opérationnelles. Cette compilation est effectuée par un département central de planification stratégique, qui joue un rôle de coordinateur.

Ce plan d’ensemble est ensuite soumis à l’approbation du conseil d’administration.

  • Traduction en objectifs. Un ensemble d’objectifs financiers et stratégiques est alors défini afin de permettre un contrôle de la performance des unités sur la base de priorités stratégiques clés extraites du plan.

Rob Grant a montré que certaines compagnies adoptaient une approche plus formelle que les autres, en s’appuyant plus volontiers sur des rapports écrits et des présentations officielles, des cycles de planification plus rigides, moins de flexibilité et plus d’objectifs spécifiquement extraits des plans.

En revanche, d’autres compagnies accordaient plus d’importance à des objectifs financiers d’ordre général.

Les départements centraux de planification jouaient aussi des rôles différents. Dans certaines organisations, ils se comportaient avant tout comme des coordinateurs des plans des unités opérationnelles, alors que d’autres étaient plutôt des consultants internes.

Les systèmes de planification stratégique peuvent jouer quatre rôles majeurs dans une organisation :

  • La formulation de la stratégie, qui permet aux managers de comprendre les problèmes clés. La planification force à établir les objectifs généraux, encourage l’utilisation d’outils analytiques et incite à adopter une vision à long terme.

Cependant, l’horizon de planification et ce que recouvre exactement la notion de long terme varient fortement d’une industrie à une autre. Dans la microinformatique, il est à peu près impossible de se projeter au-delà de dix-huit mois.

Dans l’automobile, où la vitesse de renouvellement des gammes ne cesse de s’accélérer, les plans à cinq ans sont devenus un maximum. Enfin, dans les entreprises qui s’appuient sur des investissements extrêmement lourds, comme dans l’industrie pétrolière, l’horizon de planification peut atteindre quinze ans, voire vingt ans.

  • L’apprentissage. Rita McGrath et lan McMillan affirment que les managers peuvent profiter de la planification s’ils la considèrent comme une occasion d’apprentissage plutôt que comme un exercice obligé. Ils défendent l’idée d’une planification tournée vers la découverte, favorable aux questionnements et à la mise en doute des schémas de pensée établis.
  • La coordination. Les systèmes de planification stratégique peuvent avoir pour fonction explicite de coordonner les stratégies des domaines d’activité avec les objectifs généraux de l’entreprise. Paula Jarzabkowski et Julia Balogun ont montré que les processus de planification stratégique sont des forums de négociation et de compromis qui permettent de réconcilier diverses perspectives.
  • La communication de la stratégie voulue par la direction générale au travers de l’ensemble de l’organisation et la mise en place de jalons stratégiques à partir desquels la performance et les progrès pourront être mesurés.

On peut aussi souligner qu’un système de planification peut avoir d’autres rôles.

En impliquant les individus dans le processus stratégique, il peut leur permettre de s’approprier plus facilement les décisions.

Saku Mantere, de l’université d’Helsinki, a montré qu’il pouvait permettre à certains managers intermédiaires (qu’il appelle les « champions de la stratégie ») d’influencer la stratégie au-delà de leurs responsabilités opérationnelles.

La planification stratégique peut aussi donner un sentiment de sécurité et de cohérence au sein de l’organisation, notamment auprès des managers censés déterminer la stratégie et maîtriser son déploiement.

Pour autant, Henry Mintzberg a ouvertement critiqué l’intérêt de la planification stratégique en soulignant ses nombreux dangers.

Selon lui, il existe cinq principaux risques associés à l’utilisation des systèmes de planification :

  • La confusion entre la stratégie et le plan. Les managers peuvent se considérer comme des stratèges avisés alors qu’ils ne font que suivre la procédure de planification.

Or, la stratégie va bien au-delà du plan formalisé : elle consiste en l’orientation à long terme suivie par l’organisation, et certainement pas en un document écrit que le responsable conserve précieusement sur une étagère. Dans beaucoup d’organisations, il existe d’ailleurs une confusion entre les processus budgétaires et la planification stratégique.

  • La déresponsabilisation. L’ensemble de l’organisation risque de ne pas faire sienne une stratégie d’état-major, uniquement déterminée par les analystes du département de planification ou par une équipe de cadres dirigeants.

Dans certains cas extrêmes, le plan stratégique devient même un document confidentiel, que seuls quelques responsables de plus haut niveau sont habilités à consulter.

Par ailleurs, le processus de planification stratégique peut être tellement compliqué et morcelé que les individus qui n’y ont contribué qu’à leur propre échelle seront incapables de l’assimiler dans sa globalité. Cette incapacité est particulièrement problématique dans les grandes entreprises.

  • Le conformisme. Les systèmes formalisés de planification, en particulier lorsqu’ils sont associés à des mécanismes de contrôle stricts, peuvent déboucher sur une organisation rigide et hiérarchique dans laquelle les idées et l’innovation seront étouffées et découragées. C’est la raison pour laquelle dans les grandes organisations, les nouvelles activités prennent parfois la forme d’isolats, afin de ne pas se plier aux systèmes de planification formalisés.

Cependant, des recherches qui ont tenté de prouver que les organisations qui recourent à la planification stratégique obtiennent de meilleures performances n’ont pas obtenu de résultats probants, en particulier parce qu’il est très difficile d’isoler l’impact quantitatif réel de ces systèmes. La planification semble cependant intéressante si elle est utilisée conjointement avec des processus émergents, ce que l’on peut appeler l’émergence planifiée.

  • Elle semble aussi intéressante lorsque l’environnement est dynamique et que les décisions stratégiques sont décentralisées, mais qu’une coordination entre les stratégies issues des différentes divisions est nécessaire.

De fait, le recours à des départements entiers d’analystes et de planificateurs est en déclin 1 ï et les managers opérationnels sont de plus en plus souvent chargés de l’élaboration de la stratégie et de la planification.

La planification stratégique est moins utilisée pour déployer hiérarchiquement une stratégie délibérée, mais plutôt pour coordonner les stratégies qui émergent des activités opérationnelles.

La stratégie délibérée imposée par l’externe

Les actionnaires majoritaires, les gouvernements, ou même le contexte de développement international peuvent fortement orienter la stratégie de l’entreprise. Que ces stratégies aient été élaborées en utilisant les outils et les méthodes associés à une approche analytique ou qu’elles aient émergé progressivement, du point de vue des managers de l’organisation à laquelle elles s’imposent, elles apparaissent comme délibérées .

Le gouvernement peut ainsi dicter une certaine trajectoire stratégique ou une orientation particulière dans le secteur public ou dans les industries soumises à son contrôle, ou encore choisir de déréglementer un monopole ou de privatiser une organisation publique.

Ces choix peuvent être contraires à ceux des managers. Les entreprises privées peuvent aussi se voir imposer certains choix stratégiques ou du moins être particulièrement contraintes dans leur évolution. Les multinationales qui cherchent à se développer dans certaines régions du monde peuvent ainsi être obligées de créer des coentreprises ou de délocaliser une partie de leur production pour répondre aux exigences des gouvernements locaux.

De même, une division opérationnelle au sein d’une entreprise divisionnalisée peut considérer que ses choix stratégiques sont imposés par le siège, tout comme la stratégie d’une filiale est très souvent un choix arrêté par sa maison mère.

Enfin, les capital-risqueurs contraignent généralement les entreprises dans lesquelles ils investissent à modifier leur stratégie.

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