On utilise plus ou moins indifféremment les termes « métier », « domaine d’activité » ou « segment stratégique » pour désigner chacune des activités qui composent le portefeuille d’activités. Il existe pourtant des nuances de sens : « métier » fait référence
à un assemblage de compétences, « domaine d’activité » à l’offre et au marché, et « segment stratégique » à la démarche de segmentation stratégique.
Les domaines d’activité étant les unités d’analyse sur lesquelles s’appuie le raisonnement stratégique, il est important de définir ces unités de la façon la plus pertinente possible. Cette opération se nomme segmentation stratégique.
Table de matières
Notions de la segmentation stratégique
La segmentation stratégique est une technique qui permet de trier et regrouper différentes activités de l’entreprise en sous ensemble homogènes, appelés segments stratégiques ou encore domaines d’activités stratégiques (DAS), auxquels un raisonnement stratégique est applicable, c’est a dire des activités qui présentent une combinaison unique de facteurs clés de succès.
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Un segment stratégique est un ensemble d’activités, de produits ou de services, qui correspondent aux mêmes lois de réussite (facteurs des de succès). Le segment concerne alors un sous-ensemble de l’activité de l’entreprise qui :
- exige la mise en a:uvre de compétences spécifiques ;
- concerne le même type de concurrents.
Chaque segment présente des critères spécifiques d’offre, de demande et de concurrence (voir ci-dessous).
Pourquoi segmenter ?
En s’appuyant sur l’analyse des compétences nécessaires, la segmentation permet de définir une stratégie spécifique pour chaque segment.
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On peut alors :
Concentrer les ressources humaines et financières
L’objectif est de prendre des positions judicieusement choisies en :
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• évitant de diluer les efforts par un raisonnement sélectif,
- fixant des objectifs quantitatifs distincts et précis pour chaque segment (part de marché, CA, marges … ) en fonction de la concurrence.
Délimiter les frontières
Il s’agit ici des frontières econo1niques et géographiques de la concurrence.
Déterminer les segments ou l’entreprise est la plus performante
Ceci implique :
- d’identifier les concurrents segment par segment ;
- d’évaluer la performance de l’entreprise sur chaque segment.
Les principaux critères de segmentation stratégique
On identifie généralement les segments stratégiques d’une entreprise à partir d’une analyse des facteurs clés de succès, c’est-à-dire des compétences et des ressources requises pour être compétitif dans une activité donnée. Chaque segment doit correspondre à un ensemble homogène de facteurs clés de succès. Appartiendront donc au même segment stratégique des activités ayant les cinq caractéristiques suivantes :
La concurrence
La présence de concurrents directs suivant une stratégie similaire est un critère d’identification d’un segment stratégique. La topographie des groupes stratégiques constitue à cet égard un outil d’investigation pertinent.
La structure de coûts
Un domaine d’activité est caractérisé par une structure des coûts spécifique. Examiner la structure de coûts est un bon moyen de mesurer l’ampleur des ressources partagées entre activités. Il est donc possible de déterminer si les activités appartiennent ou non au même segment stratégique. On peut procéder en trois étapes :
- effectuer pour chaque activité une analyse des coûts par fonction de la chaîne de valeur, depuis les achats de matière première jusqu’au service après-vente ;
- identifier les coûts partagés par les deux activités (par exemple le partage d’un même réseau de distribution) ;
- déterminer par différence les coûts spécifiques à chaque activité.
La part relative des coûts partagés et des coûts spécifiques permet de savoir si l’on peut ou non regrouper deux activités. Si les coûts partagés sont prépondérants, c’est un argument pour regrouper les deux activités dans le même segment stratégique. En revanche, si les coûts spécifiques sont largement supérieurs aux coûts partagés, alors il est plus pertinent de considérer deux domaines d’activité différents.
Les ressources et compétences
Chaque élément analysé dans la structure de coûts traduit la mise en œuvre de compétences particulières.
- Il peut s’agir de technologies cruciales dans la réalisation du service ou du produit. Dans la transformation du plastique, par exemple, l’injection et le thermoformage permettent de diviser l’industrie en deux segments distincts, correspondant à ces deux techniques de production.
- Certaines compétences sont plus intangibles et n’apparaissent pas en tant que telles dans la structure de coûts alors qu’elles constituent un critère prépondérant.
Le raisonnement sur les compétences est le même que sur les coûts spécifiques et les coûts partagés. L’identification de compétences partagées conduit à regrouper les activités dans un même segment stratégique.
Le type de clientèle et le circuit de distribution
Ce critère est inclus dans le précédent, mais l’expérience montre qu’il est souvent utile de le considérer en tant que tel, pour déterminer rapidement si les activités que l’on compare touchent ou non des bases de clientèle identiques et utilisent ou non les mêmes circuits de distribution.
On peut par exemple distinguer, dans le portefeuille d’activités d’une entreprise, les services destinés au grand public de ceux vendus à des industriels. Ainsi, l’activité de l’entreprise peut être segmentée en regroupant d’un côté tous les services publics (distribution d’eau, propreté, transports) fournis aux municipalités et collectivités publiques par des contrats de concession (Business to Administration, ou B to A) et d’un autre côté, les services offerts aux clients industriels (Business to Business, ou B to B).
Bien que les services aux clients industriels partagent un certain nombre de coûts et de compétences avec les services aux collectivités, ils exigent l’utilisation de technologies différentes et surtout la mise en œuvre d’une démarche commerciale spécifique.
Le marché géographique pertinent
Dans certains secteurs globalisés, la dimension géographique n’est plus un critère de segmentation pertinent. Toutefois, il existe des situations où les conditions de la concurrence sont radicalement différentes d’un pays à l’autre et où le marché pertinent reste national. Du coup, les facteurs clés de succès peuvent être significativement différents pour une même activité dans différents pays.
Dans ces situations, l’ignorance de la dimension géographique peut conduire des entreprises à sous-estimer les efforts à faire pour s’implanter sur un nouveau marché.
En combinant tous les critères possibles, on peut segmenter presque à l’infini… Aussi faut-il savoir rester pragmatique et garder à l’esprit que la segmentation stratégique permet d’un côté d’identifier les concurrents directs et de l’autre de faciliter le travail de la direction générale du groupe dans l’allocation des ressources entre les activités où le groupe est présent.
L’évaluation du potentiel des segments
Mesure de l’attrait du segment
La mesure de l’attrait de chaque segment désigne le Ciblage Marketing. En fait, les segments de marché n’ont pas le même potentiel en terme de profit et de CA, ce qui met l’entreprise devant l’obligation de faire une sélection des segments les plus profitables sur la base de évaluation de leur potentiel.
Pour aboutir à une segmentation efficace et opérationnelle, il faut choisir les critères en fonction des caractéristiques suivantes :
La pertinence
Pour un produit sonné, plus le critère retenu est étroitement lié aux attitudes et comportements des consommateurs, plus il est pertinent. Ainsi, si le critère du sexe dans le cas du marché de la presse périodique, il ne l’est pas pour le marché de l’informatique.
La possibilité de mesure(mesurabilité)
Un bon critère doit permettre d’évaluer la taille de chaque segment. Tel est le cas des critères sociodémographiques à partir
desquels il est aisé de dénombrer, par exemple la répartition hommes/femmes, par tranches d’âge dans une ville, un département ou une région.
La valeur opératoire (accessibilité)
La valeur opératoire d’un critère sera d’autant plus importante qu’il permettra d’atteindre des segments accessibles en direction desquels des actions commerciales spécifiques pourront être menées.
Les matrices de segmentation
La matrice de segmentation du secteur est le moyen de passage des variables importantes aux segments.
La première tâche de segmentation consiste à déterminer les variables pertinentes du secteur.
La tâche suivante consistant à les combiner (matrices de segmentation composites) est généralement difficile parce que les variables de segmentation possibles sont nombreuses, d’où un nécessaire élagage de celles-ci.
Il s’agit d’approches plus opérationnelles souvent appelées matrices stratégiques mises au point par trois des principaux cabinet de consultants américains :
Dans le cas de la segmentation stratégique on s’intéressera à la matrice McKinsey qui représente un tableau stratégique de McKinsey est construit à partir de 2 variables :
La position concurrentielle, calquée sur le modèle ADL. Mais l’évaluation utilise des facteurs clés de succès plus nombreux et pondérés les uns par rapport aux autres ;
La valeur du secteur est plus originale. Elle rend compte de l’attrait d’une activité pour une entreprise donnée et combinant la valeur intrinsèque de l’activité, mesurée grâce à des critères liés à la notion de cycle de vie, et la valeur relative de l’entreprise (prise en compte des synergies avec d’autres activités, barrières à l’entrée, maîtrise d’un facteur clé critique).
Elle se présente sous la forme d’un tableau à double entrée et neuf cases avec, en abscisse, la valeur du secteur et en ordonnée, la position concurrentielle ; chacun de ces deux critères étant mesurés selon une échelle à trois positions : forte, moyenne, faible. La représentation des activités dans le tableau est identique à celle des deux précédents modèles.
Les frontières de la segmentation stratégique
Segmentation marketing et segmentation stratégique
La confusion entre segmentation stratégique et segmentation marketing est fréquente, car :
Les deux démarches prennent en compte des dimensions liées à la clientèle. Alors que la segmentation stratégique porte sur l’activité globale de l’entreprise, la segmentation marketing se fait au niveau d’un DAS.
La segmentation stratégique constitue une alternative à la segmentation marketing. Lorsque l’entreprise se lance à la conquête de nouveaux clients, le décideur est placé face à un choix important : doit-il procéder à un simple ajustement de l’offre et de son prix, et donc réaliser une segmentation marketing, ou doit-il constituer un nouveau DAS reposant sur un système d’offre spécifique, et donc opérer une segmentation stratégique ?
Segmentation marketing Segmentation stratégique Concerne un DAS de l’entreprise. Concerne les activités de l’entreprise prises dans leur ensemble. Vise à diviser les consommateurs en groupes de comportements d’achat homogènes (ex. : âge, sexe, catégorie socio-professionnelle). Vise à diviser ces activités en groupes homogènes dédiés à un type de produit (ou de service). Permet d’adapter les produits à la demande et de définir le marketing-mix. Permet de révéler des opportunités de création et des nécessités de développement ou d’abandon de DAS. Provoque des changements à court terme. Provoque des changements à long terme.
Niveau d’analyse pertinent
La définition d’un niveau d’analyse pertinent peut se heurter à deux principales difficultés :
La segmentation stratégique revêt en partie un caractère arbitraire. La justification du périmètre des DAS amène généralement à privilégier certains critères plutôt que d’autres. En effet, la dimension subjective de l’identification des DAS va de pair avec l’existence d’une politique d’entreprise : la rationalité des choix des décideurs ne peut être dissociée de leurs préférences.
Le niveau de segmentation n’a de limite que le nombre de clients. En ce sens, une segmentation trop poussée risque d’obscurcir l’analyse. La segmentation s’avère pertinente si elle offre un niveau de détail favorisant la prise de décision. Il s’agit bel et bien d’identifier des ensembles pertinents de produits (ou de services) destinés à un marché spécifique et qui répondent à la même logique stratégique d’allocation de ressources.
Difficultés et limites de la segmentation
Une bonne segmentation doit permettre une réflexion fine en matière d’objectifs stratégiques et une allocation différenciée des ressources. Elle doit refléter fidèlement la réalité économique des activités, tout en gardant une vue d’ensemble synthétique.
Trouver le bon compromis
Une des premières difficultés de l’analyse stratégique consiste a déterminer le degré de finesse approprie pour segmenter les activités de l’entreprise. Deux écueils guettent toute segmentation.
La segmentation ne doit pas être trop fine
En effet, au fur et a mesure que le degré de finesse augmente, l’intensité des synergies entre les segments croit en proportion ; or, deux segments stratégiques constituent théoriquement deux activités indépendantes entre lesquelles les synergies industrielles, technologiques ou commerciales sont faibles. On risque alors de négliger les synergies (ex. : voitures rouges/ voitures vertes).
La segmentation ne doit pas etre trop large
Plus la segmentation est large, plus les activités sont hétérogènes. Le segment manque de cohérence, car les compétences spécifiques a chaque activité sont négligées. On perd alors de vue les spécificités des différents besoins et des différents clients (ex. : voitures particulières). Il existe une zone de segmentation optimale o les segments sont homogènes et les synergies minimisées
La segmentation, processus iteratif, doit etre verifiee a posteriori.
Respecter la double logique de l’offre et de la demande
Si on privilégie la demande, on risque d’aboutir à une approche trop marketing.
Si on privilégie l’offre, on risque de conduire une entreprise à penser qu’elle peut façonner son propre segment stratégique.
Segmentation et structure organisationnelle
le cadre structurel de l’entreprise peut constituer un handicap majeur à l’inventaire des segments stratégiques car il ne recoupe que rarement ces derniers.
ceci peut produire des confusions, des conflits et des blocages susceptibles de nuire àl’identification des segments et à la définition de stratégies cohérentes…
Une démarche en permanente évolution
« Il ne faut rien accepter comme acquis. » PHILIPPE BOURGUIGNON
Une segmentation n’est jamais définitive, elle doit être remise en cause pour intégrer, voire anticiper, les évolutions :
- modification des besoins ou des gouts de la clientèle ;
- évolution des modes de distribution ;
- ruptures technologiques (ex. : multimédia, etc.) ;
- changement du cadre règlementaire ;
- modification des structures du secteur par des concurrents (IKEA, Canal Plus, McDonald’s).
La segmentation doit être un processus dynamique qui accompagne le management stratégique.
Conclusion
L’entreprise doit poser un choix de ciblage et de positionnement concrets. Ce choix tient compte du degré d’hétérogénéité du marché, donc du dilemme standardisation-adaptation, du niveau de ressources disponibles et également de l’ambition de l’entreprise.
Dans une optique d’orientation-marché, le choix des segments se fera principalement en fonction de l’intérêt du client et ensuite seulement de celui de l’entreprise. Après avoir choisi un ou plusieurs segments-cibles, la question se pose de savoir quel positionnement adopter dans chaque segment et comment faire connaître ce positionnement aux clients potentiels par des choix opérationnels cohérents entre eux et avec le ciblage choisi.