La décision est la partie la plus intangible d’une politique générale d’entreprise ou d’une organisation. Elle constitue pourtant l’une de ses principales ressources puisqu’à travers elle la vision, les idées et les projets des personnes peuvent se transformer en actions stratégiques. La décision stratégique peut être définie comme un processus par lequel une entreprise passe d’une position stratégique à une autre.
La décision constitue bien un choix en termes de stratégie, de structure ou de management d’entreprise. On peut distinguer quatre conceptions fondamentales de la prise de décision dans les organisations : la rationalité parfaite, le modèle organisationnel développé par H.A. Simon, le modèle d’Igor Ansoff et le modèle politique. Chaque modèle repose sur plusieurs théories de la prise de décision qui seront explicitées.
Table de matières
La rationalité parfaite
Le modèle décisionnel classique
Il s’agit de l’approche de la prise de décision développée par l’économie classique au sein de laquelle l’homme effectue des choix rationnels. La décision est assimilée au raisonnement d’un acteur unique qui cherche à maximiser ses fins avec les moyens dont il dispose. Cette logique de rationalité conduit l’acteur à examiner toutes les possibilités d’actions susceptibles de lui permettre d’atteindre ses objectifs.
Dans cette perspective, les objectifs sont clairement et précisément définis, les préférences sont stables et exhaustives. Le décideur effectue le choix de la solution qui va maximiser son résultat. Il est bien à la recherche de l’optimum, c’est-à-dire de la solution optimale. Les entreprises américaines ont longtemps utilisé implicitement ce modèle en particulier dans un certain nombre de cas.
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En premier lieu, cette approche de la prise de décision a longtemps été privilégiée concernant les choix des investissements. En effet, la procédure de choix des investissements telle qu’elle est formulée par les spécialistes de la gestion financière se découpe en trois phases : la détermination des objectifs prioritaires de la politique d’investissements en fonction de la stratégie, l’évaluation de chaque projet d’investissements et le choix d’un projet. En second lieu, le modèle dit de Harvard de formulation de la stratégie d’une entreprise élaboré par les professeurs Learned, Christensen, Andrews et Guth (1969) repose sur cette conception de la prise de décision.
Le modèle Harvard
Le modèle de Harvard considère la firme comme un système qui agit comme un acteur parfaitement rationnel. L’approche consiste en une double analyse de l’environnement de la firme et de ses ressources internes pour dégager, dans un premier temps, des facteurs clés de succès et des compétences distinctives. Dans cette optique, l’analyse des opportunités et des contraintes de l’environnement et des forces et faiblesses internes à l’organisation permet de déterminer un ensemble de possibilités d’actions stratégiques.
Dans un second temps, ces possibilités, elles-mêmes confrontées aux valeurs personnelles des dirigeants et à leur conception de leurs responsabilités sociales, permettront d’élaborer une stratégie d’entreprise à partir de laquelle sera élaboré un programme d’actions à entreprendre.
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Au total, cette approche de la stratégie peut être découpée en quatre séquences : diagnostic du problème, repérage et explicitation de toutes les actions possibles, évaluation de chaque éventualité par des critères dérivés des objectifs et des préférences et choix de la solution qui maximise le résultat.
Ces modèles rationnels de prise de décision stratégique ou financière, tel qu’ils ont été formulés à l’Université de Harvard, reposent sur un certain nombre de postulats implicites parfois illusoires en pratique :
- le décideur a des préférences claires et reste seul à décider des objectifs à atteindre ;
- il dispose d’une information parfaite sur son environnement et sur les conséquences de ses choix. Le coût d’accès à l’information est donc considéré comme négligeable ;
- la décision précède l’action et aucune décision en provenance de l’action stratégique n’est, a priori, prise en considération ;
- suivant cette conception, le changement du système ne dépend que de la volonté délibérée d’un décideur unique et rationnel.
Cette approche de la prise de décision en management suppose que celle-ci soit l’adaptation logique et simultanée d’un acteur unique doté de préférences cohérentes et stables à des événements extérieurs.
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Le modèle n’envisage pas l’existence de conflits d’intérêts et de pouvoir dans les organisations ainsi que les stratégies des individus et des groupes par rapport aux événements. En réalité, l’analyse de décisions stratégiques prises par de grands groupes industriels montre que les principes sous-jacents à cette approche rationnelle sont souvent infirmés par les faits.
H.A. Simon et la théorie de la rationalité limitée
Né en 1916 dans le Wisconsin aux États-Unis, Herbert A. Simon fait ses études à l’Université de Chicago, s’intéresse très tôt aux problèmes relatifs aux sciences économiques et politiques et s’occupe aussi des questions soulevées par la gestion municipale. Professeur d’administration et de psychologie à l’Université de Pittsburg, il exerce de nombreuses activités de conseil auprès de plusieurs organisations.
Le sujet de sa thèse de doctorat consacré à des recherches sur la mesure des activités administratives deviendra son premier grand livre publié en 1945 et intitulé Administrative Behavior, a Study of Decision-Making Processes in Administrative Organization, lui vaudra le prix Nobel de sciences économiques en 1978.
Son œuvre consacrée à la théorie des organisations et à la prise décision est aujourd’hui considérée comme majeure par tous les spécialistes du management. À propos de la théorie de la décision, Simon va s’opposer au postulat de rationalité parfaite développé par les chercheurs de Harvard et propose le concept de rationalité limitée ou rationalité procédurale pour analyser le comportement organisationnel et la prise de décision.
La rationalité limitée
Cette approche se situe bien à l’opposé de la démarche rationnelle, puisque l’organisation est envisagée comme un système composé par de multiples acteurs qui évoluent en situation de rationalité limitée. Plus réaliste que le précédent, ce modèle part de l’observation des comportements humains et correspond à une analyse cognitive du décideur. Suivant la pensée de Simon, le décideur présente trois grandes caractéristiques :
- le décideur n’a pas une vision globale de l’environnement de l’entreprise et ne peut pas traiter la totalité de l’information disponible ;
- l’homme n’a pas de préférences claires, hiérarchisées mais plutôt des aspirations variables selon les moments ;
- le décideur ne cherche pas à maximiser les conséquences de ses choix mais est plutôt en quête d’un certain niveau de satisfaction. Pour Simon, l’optimum est une utopie.
Dans ce modèle de prise de décision, le concept de rationalité limitée est central. Herbert A. Simon remet fortement en cause l’idée d’optimum dans la prise de décision et montre, à travers des recherches empiriques, que ce qui déclenche fréquemment la décision, ce sont des problèmes organisationnels.
Dans ce sens, si un problème connu se pose, le décideur va appliquer à celui-ci le processus qu’il connaît pour tenter de le résoudre. Si le problème n’est pas connu, l’acteur va alors chercher à voir s’il ne peut pas le rapprocher d’un autre problème de manière à lui appliquer une solution routinière par proximité. C’est seulement s’il n’y parvient pas que le décideur cherchera une solution nouvelle ce qui est relativement peu fréquent en pratique.
Finalement, Simon démontre que les processus de résolution de problèmes obéissent à des solutions satisfaisantes et, en aucun cas, à des solutions optimales. En outre, les travaux de Simon indiquent que le décideur est fortement influencé par son environnement organisationnel, par des règles de gestion propres à l’entreprise et par des jeux d’influence au sein de la hiérarchie organisationnelle.
La prise de décision dans le modèle organisationnel élaboré par Simon, peut être définie comme une situation de rationalité limitée par une recherche d’un niveau minimum de satisfaction dans un cadre organisationnel contraignant.
Cependant, si cette approche présente l’avantage d’être pragmatique, elle est discutable sur trois points.
En premier lieu, le modèle n’envisage pas suffisamment les solutions innovantes ou les décisions de rupture qui peuvent parfois se produire. En second lieu, il ne montre pas dans quelle mesure le processus de négociation et d’influence dans l’organisation détermine la prise de décision. Enfin, les jeux d’acteurs dans l’organisation ne sont pas suffisamment envisagés comme de véritables jeux de pouvoir ayant souvent un impact déterminant sur les décisions qui seront prises.
Les deux types de décisions
Herbert A. Simon introduit l’outil informatique dans le processus de prise de décision. Le lien qu’il établira entre le management et l’intelligence artificielle le confortera dans l’idée que pour rendre plus efficace le processus décisionnel de l’homme, les ordinateurs doivent être utilisés pour lui permettre d’accroître ses capacités cognitives.
Il distinguera deux types de décisions :
- les décisions programmées qu’il définit comme étant des «décisions routinières et répétitives » pour lesquelles l’entreprise a élaboré des procédures standards;
- les décisions non programmées (non structurées) pour lesquelles «// n’existe pas de méthode toute faite pour régler le problème ». Elles ont un caractère non structuré et seront du ressort des dirigeants.
L’informatique complète et vient en support des méthodes traditionnelles dans le processus décisionnel pour en améliorer l’efficacité
Les disciples d’Herbert A. Simon
Théorie du comportement de l’entreprise
Richard Cyert (1921) et James March (1928), dans A behavioral theory of the firm (1963), reprennent le modèle de décision établi par Herbert A. Simon en lui donnant un caractère opératoire. Ils avanceront le caractère parfois irrationnel de la prise de décision.
Lorsqu’un désaccord apparaît entre deux entités sur des objectifs à atteindre, la décision prise résultera plus d’un consensus que d’une démarche rationnelle. Ces organisations sont considérées comme des processus dynamiques de prises de décisions, comme des générateurs d’actions. Elles sont composées de groupes de personnes, impliquées dans les différentes étapes du processus, ayant des demandes disparates et de multiples intérêts.
Richard Cyert et James March ont défini une théorie du comportement de l’entreprise fondée sur les quatre concepts fondamentaux suivants :
La quasi-résolution des conflits
La vision qu’ont les auteurs de l’entreprise suppose qu’il faille recourir à des procédés de résolution de conflits qui sont de deux ordres :
la rationalité locale, les décisions seront prises localement par chaque service (production, ressource humaine, bureau d’études…) grâce aux délégations accordées sur les bases des objectifs assignés. Les problèmes nombreux et complexes de l’entreprise sont reportés localement à une série de problèmes simples et localisés;
le traitement séquentiel des problèmes : les décisions seront prises dans le temps, les unes après les autres, en séquence, sans les fusionner.
L’élimination de l’incertitude
Dans un contexte d’incertitude tant interne (intérêts divergents des individus…) qu’externe (actionnaire, marché…), les dirigeants ont des difficultés à prendre des décisions. Pour minimiser ces difficultés, à la gestion à long terme, ils préféreront la gestion à court terme qui leur offre en retour des informations rapidement exploitables leur permettant d’effectuer de multiples et rapides ajustements.
La recherche d’une problématique
L’entreprise, face à une situation problématique, ne fera pas le choix d’une analyse détaillée de l’ensemble des causes et des solutions possibles, mais s’en tiendra à choisir la solution qui lui a permis récemment de résoudre cette problématique.
L’apprentissage organisationnel
Les décideurs adaptent leur comportement à partir de leurs expériences et des résultats de leurs actions passées.
Modèle de la poubelle
Deux Américains et un Norvégien, Michael D. Cohen, James March et Johan P. Olsen, ont conduit des recherches sur le fonctionnement de plusieurs universités américaines. Ces études ont permis d’introduire deux notions :
Le modèle de l’anarchie organisée
Il caractérise les organisations qui répondent aux trois critères suivants :
- l’incertitude de leurs préférences : l’organisation fonctionne à partir d’une grande variété de préférences mal définies et peu cohérentes entre elles ;
- une technologie floue: l’entreprise fonctionne avec des procédures non stabilisées et non comprises par ses propres membres, en procédant par tâtonnement, et invente de façon pragmatique sous la pression de la nécessité;
- une participation fluctuante : le degré d’engagement des individus fluctue. Ils participent de façon intermittente aux différentes prises de décision de l’organisation.
Le modèle de la « poubelle » ou modèle « Garbage Can»
Ce modèle est un style de décision que l’on peut trouver au sein des anarchies organisées. Il s’écarte du paradigme de décision comme résolution d’un problème par choix d’une solution adéquate. Dans ces organisations, les processus de décisions sont assimilables à des poubelles dans lesquelles les individus jettent ce dont ils veulent se débarrasser.
La poubelle est une opportunité de choix parmi les nombreuses occasions existantes de prendre des décisions (réunion de coordination, comité de direction…). Le contenu de la poubelle est fait de problèmes que les
individus souhaiteraient voir pris en compte mais aussi des solutions qu’ils aimeraient voir appliquer. Les participants apportent des problèmes, d’autres des solutions, sans qu’il y ait de correspondance entre eux. La décision, dans ce cas, est le produit de la rencontre d’une opportunité de choix, de problèmes, de solutions et de participants. Ce modèle « chaotique» ne fait apparaître que trois styles de choix possibles :
- les décisions par inattention ;
- les décisions par déplacement des problèmes ;
- les décisions par résolution des problèmes.
Igor Ansoff
Igor Ansoff (1918-2002) fut professeur d’administration industrielle au Graduate School of Industrial Administration du Carnegie Institute of Technology. Dans les années 1960, il est l’un des pionniers à avoir étudié les stratégies d’entreprise en distinguant les activités stratégiques des activités opérationnelles et de gestion.
Igor Ansoff formulera la stratégie comme un : « processus d’action favorisant la détermination des moyens permettant de guider une firme dans l’atteinte de ses objectifs. » Il est considéré comme le père de la stratégie d’entreprise moderne qui a su lier la stratégie à la fois aux impératifs financiers et au marketing de l’entreprise. Il développera des outils d’analyse réputés utilisés par les entreprises et les consultants.
Typologie des décisions selon la durée
Selon Igor Ansoff, on peut distinguer trois types de décisions hiérarchisées à long, moyen et court terme:
- la décision stratégique: adaptation de l’entreprise à son milieu (choix des marchés, des produits…). Elle concerne toute l’entreprise sur une longue période;
- la décision tactique : gestion des ressources (organisation, politique d’acquisition…). Elle produit son effet dans le moyen terme et pour une fonction de l’entreprise ;
- la décision opérationnelle: l’exploitation courante. Sa portée quotidienne est applicable à un poste de travail ou une opération déterminée
La matrice d’Ansoff
La matrice d’Ansoff est un outil d’aide à la prise de décision. Elle permet de classer et d’expliquer les différentes stratégies de croissance de l’entreprise en croisant les produits (actuels et nouveaux) et les marchés (actuels et nouveaux).
Il existe, selon Igor Ansoff, quatre stratégies de croissance :
- la pénétration de marché ou consolidation: accroître les parts de marché des produits actuels sur les marchés actuels ;
- l’extension de marché : introduire les produits actuels sur de nouveaux marchés.
- le développement de produits ou extension de segments : proposer des nouveaux produits sur des marchés actuels ;
- la diversification : proposer des nouveaux produits sur des nouveaux marchés.
Linblom et le modèle politique
Le politologue Charles Lindblom (1959) propose un modèle d’analyse de la prise de décision qui, selon lui, est bien plus employé que les précédents que la méthode rationnelle. Son approche est construite autour des intérêts propres aux différents acteurs d’une organisation.
Ces derniers sont tous dotés d’intérêts et d’objectifs propres et contrôlent différentes ressources telles que l’autorité, le statut, les idées, les informations, le temps, etc. La conception de Lindblom suppose que les décisions sont prises par des acteurs relativement indépendants pouvant avoir des intérêts divergents.
Les acteurs négocient donc entre eux des solutions pour lesquelles ils analysent les avantages et les inconvénients. Cela revient à dire qu’ils se mettent d’accord sur de petites décisions négociées sans nécessairement être en phase sur de grands objectifs.
On peut penser que cette approche de la décision est relativement pessimiste, voire médiocre, mais face à des problèmes complexes, on ne peut procéder que par tâtonnements.
Les décisions mises en œuvre correspondent ainsi à de petites décisions très opérationnelles et ne sont que très rarement des décisions de rupture.
Ce modèle politique de la prise de décision est qualifié d’incrémentaliste par les théoriciens de l’organisation car le choix des actions se fait suivant une stratégie de petits pas, où l’on évite avant tout les bouleversements et les changements radicaux. Les décideurs procèdent par petites décisions en tenant compte des objectifs contradictoires des acteurs de l’organisation et des jeux de pouvoir et d’influence.
Cependant, si ce modèle politique semble réaliste, il présente un certain nombre de limites. En effet, si l’apport de cette conception de la décision est d’attirer l’attention sur les relations de pouvoir, elle tend à masquer le fait que les règles et les structures, dans le cadre desquelles s’exercent les jeux d’acteurs, sont aussi des instruments de pouvoir.
Le modèle politique néglige également l’existence d’éléments qui dépassent les jeux et les stratégies d’acteurs : la culture de l’organisation, les valeurs communes, le projet et l’identité organisationnelle.
Conclusion
En définitive, l’intérêt des différentes approches de la prise de décision réside dans l’idée que l’évolution des modèles indique que l’on est passé progressivement d’une conception purement rationnelle à des modèles plus sociaux incluant le poids des acteurs et les rapports de pouvoir ainsi que le rôle souvent capital des structures organisationnelles.