Les mécanismess de gouvernement d’entreprise qui n’ont cessé de se développer depuis plusieurs décennies ont pour objectif principal d’améliorer la fiabilité de l’information financière à destination des stakeholders. Ainsi la fraude constitue un souci permanent pour ces derniers dont il faut préciser les contours.
Table de matières
Notion de fraude pour l’auditeur
Les états financiers frauduleux sont ceux qui ne présentent pas l’image fidèle du patrimoine, du résultat et de la situation financière de l’entreprise du fait de la fraude. L’erreur constitue l’autre anomalie qui peut affecter cette image fidèle.
Définition de la fraude
Selon la norme ISA 240 «La responsabilité de l’auditeur dans la prise en considération de fraudes dans l’audit d’états financiers », la fraude désigne un acte intentionnel commis par une ou plusieurs personnes (direction, gouvernement d’entreprise, employés ou tiers), impliquant des manœuvres dolosives dans le but d’obtenir un avantage indu ou illégal.
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Pour GAYRAUD & al (2009) la fraude est par nature «un acte de mauvaise foi, en général pour un profit personnel au détriment de l’entreprise ». Toutefois, le profit personnel du fraudeur peut être concomitant au profit de l’entreprise. Tel est le cas de la fraude perpétrée sous la pression ou la menace des dirigeants de l’entreprise dans le but de donner une image plus attrayante de sa situation financière.
Les pressions peuvent concerner la promotion, la rémunération, la menace de licenciement ou de sanction et la manipulation.
La norme ISA 240 distingue la « fraude commise par le personnel » de la « fraude commise par la direction». Cette dernière qui se réfère à la fraude impliquant un ou plusieurs dirigeants ou personnes constituant le gouvernement d’entreprise, est la plus insidieuse c’est-à-dire que ses aspects négatifs ne se manirestent qu’après un certain temps. Par ailleurs son impact financier est de loin plus important.
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Figure 1: Définition du terme fraude
Distinction entre fraude et erreur
L’erreur réside dans le fait de se tromper :
- erreur dans l’appréciation de la réalité entraînant des estimations comptables incorrectes ou une application incorrecte des règles comptables ;
- erreur dans le traitement des données destinées à la préparation des états financiers (omission, erreur sur le montant)
- erreur dans la classification des données et la présentation de l’information financière.
La distinction entre la fraude et l’erreur réside dans le caractère intentionnel de l’action fondamentale générant l’anomalie dans les états financiers, ou pas. En effet, selon la norme ISA 240, l’erreur qualifie une anomalie involontaire dans les états financiers.
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L’intention suppose la conscience et la volonté d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte. Par suite, la réalisation de l’acte suppose la recherche par son auteur d’un avantage indu ou illégal. L’avantage recherché peut être matériel (en numéraire ou en nature) ou moral (promotion, image). Ce qui est déterminant c’est que l’avantage a été recherché par des méthodes qui enfreignent les dispositions légales ou statutaires.
Ainsi, une anomalie (significative ou non) dans les comptes résultant d’actes involontaires constitue une erreur et non une fraude.
L’appréciation ou la qualification de la fraude
En pratique la qualification de la fraude est délicate. La difficulté réside dans l’établissement du caractère intentionnel ou non de l’acte occasionnant l’anomalie dans les états financiers.
En effet, si en matière de détournement d’actif les faits (falsification de documents, dissimulation) peuvent sembler parler d’eux mêmes, le caractère volontaire ou non d’une fraude dans les estimations comptables (par exemple les provisions insuffisantes) en vue de présenter un meilleur visage de la situation de l’entreprise est plus difficile à établir.
Exemple
Voici un exemple qui souligne le caractère ambigu de la distinction entre la fraude et l’erreur :
Une partie des dettes financières est présentée au bilan dans les fournisseurs
– Erreur: Le logiciel de construction automatique des comptes annuels a été mal parametré. Cette erreur est corrigée dès sa découverte.
– Fraude :La société s’est engagée à maintenir un certain niveau d’endettement à l’égard de ses banquiers. (Motivation)
Quels que soient les cas, aux termes du paragraphe 6 de la norme ISA 240, « il n’appartient pas à l’auditeur de déterminer si, au plan juridique, une fraude a été perpétrée ».
Facteurs explicatifs de la commission des fraudes
Les recherches en criminologie ont conduit à la modélisation des facteurs explicatifs da la commission des la fraude : le « fraud triangle » (SINGLETON & al, 2006)
Figure 2: The fraud triangle
La pression/ motivation
SINGLETON & al. (2006) abordent la pression sous une dimension individuelle.
Un évènement causant un besoin financier peut survenir dans la vie du fraudeur, le poussant à la fraude. Ainsi en est-il d’une facture médicale très élevée pour laquelle le futur fraudeur est sollicité par sa famille qui ne compte que sur lui. L’addiction à la drogue ou aux jeux de hasard constitue elle aussi une forme de pression qui peut pousser un individu à la fraude.
D’autres facteurs ayant plus trait à l’avidité de l’individu peuvent être mis en cause comme l’obtention d’une promotion ou la maximisation des avantages obtenus liés à la performance. D’ailleurs, d’après l’étude de KPMG (2007 ), c’est l’avidité qui constituerait le facteur prépondérant.
Toutefois, les pressions extérieures sous forme d’intimidations provenant du management ou de l’actionnariat telles que la menace de licenciement ou de sanction, la manipulation sont aussi susceptibles de conduire à la fraude.
Il apparaît donc que la motivation du fraudeur est avant tout personnelle. Car il faut dire que même la fraude au profit de l’entreprise distinguées par GAYRAUD & al. (2009), trouve toujours sa source dans des motivations personnelles généralement celle de la direction de l’entreprise qui a intérêt dans l’image et la performance de l’entreprise.
L’existence de l’opportunité
Le facteur déterminant dans la survenance de la fraude est constitué par les failles du dispositif de contrôle interne (SINGLETON & al., 2006). Ces fàilles créent l’opportunité pour le fraudeur que vient renforcer l’absence ou l’insuffisance de supervision par les dirigeants de l’entreprise.
Pris en considération qu’il ne peut y avoir de contrôle absolu, le contournement du dispositif de contrôle interne ou l’exploitation de ses insuffisances nécessite une bonne connaissance de celles-ci.
Cette connaissance procure au fraudeur « la conviction qu’il peut agir impunément» (OUANICHE, 2009), et par conséquent, constitue une tentation pour des personnes qui en temps normal n’ont pas l’habitude d’agir de façon malhonnête. Ainsi la durée d’une personne dans l’entreprise ou encore mieux à un poste peut constituer un indice de risque de fraude car elle laisse présumer une bonne connaissance des failles du système de contrôle interne.
L’existence d’une possibilité de rationalisation de l’acte
La combinaison de la pression et de l’opportunité créée un terrain favorable à la fraude mais ne suffit pas pour le passage à l’acte. Il faut en plus qu’il y ait une possibilité de rationalisation de l’acte.
La rationalisation de l’acte consiste en l’autojustification des transgressions commises.
Elle dépend des valeurs et principes éthiques de l’individu Comme le souligne OUANICHE (2009), peu de personnes sont capables d’assumer un conflit ouvert entre leurs actes et leur système de valeurs morales car il est nécessaire à la majorité de conserver une perception positive d’eux même. Par conséquent, la rationalisation de l’acte permet de rétablir la cohérence de la fraude avec les valeurs morales de l’individu Des exemples de rationalisation cités par OUANICCHE (2009) peuvent consister à :
- dire que la fraude était justifiée et inévitable pour protéger les intérêts de l’entreprise : sans cette manipulation, les concours bancaires auraient cessé et l’entreprise aurait été perdue, ou la survie des emplois justifie cet acte ;
- mettre l’accent sur l’aspect temporaire de l’acte : il ne s’agissait que de lisser les résultats sur les deux exercices, ou encore, il ne s agissait que d’un emprunt que je comptais bientôt rembourser ;
- banaliser l’acte : C’est une pratique communément admise dans ce secteur d’activité ou les sommes en jeu sont dérisoires par rapport aux liasses gérées par l’entreprise ;
- se poser en victime : ma rémunération n’est pas en relation avec mes efforts, je ne fuis que me rendre justice.
Le profil du fraudeur en entreprise
Une étude réalisée par le cabinet KPMG (2007) à partir de 360 cas de fraudes an Europe, en Afrique et au Moyen-Orient dresse le portrait-robot du fraudeur.
C’est un homme, un manager occupant une fonction élevée au sein de l’entreprise dans laquelle il est employé depuis plus de quatre ans dans le service financier ou les ventes.
Il a entre trente-cinq et cinquante-cinq ans, travaille de manière autonome et a la confiance de son employeur ou de sa hiérarchie, ce qui lui permet d’accéder aux informations confidentielles.
L’étude de PriceWaterHouseCoopers (2007) aboutit à des conclusions similaires.
Figure 3: Le profil du fraudeur
OUANICHE (2009) pour sa part souligne qu’il n’est pas souvent possible a priori de douter du niveau d’intégrité du fraudeur. Les fraudeurs dans la grande majorité des cas ne sont pas des escrocs de grand chemin mais des personnes relativement honnêtes que les circonstances vont pousser à la fraude.
D’autres traits de caractère peuvent être observés. Très souvent, les fraudeurs comptabilisent un nombre anormalement élevé d’heures supplémentaires. Le matin, ils arrivent plus tôt et le soir, ils repartent plus tard que les autres. En outre, ils ne prennent jamais de vacances. Car ils ont trop peur que leur entourage professionnel direct ne mette le nez dans leurs affaires.
Ainsi il apparaît que, pour qu’un fraudeur puisse passer à l’acte, il doit bien connaître le système, posséder des notions financières et rencontrer des opportunités, trois conditions souvent réunies au niveau du management. Et si ce fraudeur est à son poste depuis plusieurs années, il a eu tout loisir d’observer les failles qu’il pourra utiliser.
Typologie des fraudes pouvant altérer l’information financière
Deux catégories de fraudes sont susceptibles d’altérer la pertinence de l’information financière : la fraude dans l’établissement des états financiers et le détournement d’actifs.
L’établissement des états financiers frauduleux
L’établissement des états financiers frauduleux ou fraude comptable selon OUANICHE (2009) consiste à présenter de manière intentionnelle (par omission ou par commission) des comptes ou une information financière ne présentant pas la réalité économique de l’entreprise.
Cette catégorie de fraudes s’inscrit exclusivement dans le sillage des dirigeants et des personnes chargés du gouvernement d’entreprise. En effet, c’est à eux que revient la responsabilité de l’établissement des états financiers.
Ils peuvent être incités par la vobnté d’enrichissement personnel, par exemple lorsque la rémunération des dirigeants est indexée à la performance de l’entreprise. D’autres motivations peuvent également intervenir comme :
- la volonté d’améliorer la capacité d’endettement de l’entreprise pour pouvoir mobiliser des ressources additionnelles;
- la volonté de réduire les charges d’imposition en opérant des manipulations sur le résultat imposable;
- les difficultés de l’entreprise quant à la continuité de son exploitation
La fraude peut consister en :
- l’application intentionnellement incorrecte des principes comptables d’évaluation (fraude dans les estimations comptables), de classification et de présentation de l’information financière. Exemple présenter les éléments hors activité ordinaire (HAO) dans l’activité ordinaire.
- la manipulation, la falsification ou l’altération des enregistrements comptables et des pièces justificatives ;
- les faux éléments dans les états financiers ou l’omission intentionnelle des transactions, évènements ou toute information ayant une importance significative.
Le détournement d’actifs
Le détournement d’actifs consiste selon la norme ISA240 la subtilisation frauduleuse d’actifs appartenant à l’entreprise. Il peut être perpétré par un seul individu ou en par collusion entre plusieurs personnes.
OUANICHE (2009) distingue les caractéristiques du détournement d’actifs selon qu’il est perpétré par les employés ou par la direction. Le détournement d’actifs perpétré par des employés est généralement le résultat de l’exploitation des failles du système de contrôle interne et souvent pour des montants relativement non significatifs. Il peut être qualifié de vol ou d’abus de confiance.
Par contre le détournement d’actifs perpétré par la direction résulte généralement du contournement ou de l’infraction du système de contrôle interne en raison de la position hiérarchique qui lui confere la faculté de donner des instructions.
Il est généralement plus difficile à détecter et ses conséquences financières sont souvent bien plus considérables. Compte tenu de ces caractéristiques on le qualifie d’abus de biens sociaux
Pour HAMZOUI & al (2005), quel que soit l’auteur, le détournement d’actifs procède généralement de la cupidité et plus rarement du désir de vengeance ou de la volonté de nuire. Il peut prendre la forme de :
- Détournement de recettes ou d’encaissements
- Vol de biens corporels (marchandises, fournitures, etc.) ou intellectuel (renseignements donnés aux concurrents sur les procédés ou la technologie de l’entreprise contre rémunération);
- Paiement par l’entreprise de biens et prestations de servtees non reçus (paiements de fournisseurs fictifs, collusion avec des fournisseurs pour majorer indument les prix, paiements de salaires à des employés fictifs) :
- L’utilisation des biens de l’entité dans un intérêt personnel (mise en gage de biens appartenant à l’entreprise pour garantir un prêt personnel ou un prêt au profit d’une partie liée; mise à bail pour un profit personnel des biens appartenant à l’entreprise).
La révélation des fraudes et le rôle de la direction
La connaissance des modes courants de révélation de la fraude peut permettre à la direction de mieux jouer son rôle dans la lutte contre la fraude en entreprise.
Les modes courants de révélation
L’étude de KPMG (2007) démontre que le taux de récidive est très important. Dans 91% des cas, les fraudeurs se livrent à plusieurs délits avant d’être découverts; dans 76% des affaires, les délits sont commis sur une période excédant six mois. Cet aspect peut s’expliquer par le schéma classique suivant énoncé par OUANICHE (2009:):
Phase 1 :Le test
Le fraudeur découvre une opportunité de malversation. Dans un premier temps, il va tester le mode opératoire en l’appliquant sur des montants fuibles afin de valider l’absence de contrôle.
Phase 2 :La mise en exploitation
Encouragé par l’absence de sanction, le fraudeur va répéter son mode opératoire sur des montants plus élevés mais néanmoins suffisamment faibles pour ne pas être repérés.
Phase 3 :Le faux pas
Le fraudeur est confronté à un besoin exceptionnel (pression sur le résultat par exemple dans le cas d’états financiers frauduleux ou besoin d’argent dans le cas de détournement de fonds).
Pour y répondre, il décide de renouveler le schéma exploité précédemment mais cette fois-ci pour des montants beaucoup plus élevés. C’est en général à ce moment seulement que la fraude peut-être détectée en raison du dépassement des seuils d’activation des contrôles. La plupart du temps malheureusement, l’alarme est donnée très tard.
Par ailleurs, le fuit que le fraudeur mette en œuvre toutes les manœuvres les plus ingénieuses possibles pour dissimuler son forfait explique très souvent la révélation tardive des fraudes.
L’étude de KPMG (2007) révèle que le mode de révélation le plus observé est la dénonciation anonyme (25%). L’audit externe ne représente que 10% pour lesquels l’étude PWC (2007) attribue 4 à 5% au commissariat aux comptes.
Figure 4: Classification des modes de révélation de la fraude
Le rôle de la direction
Les normes internationales (ISA 240) d’audit reconnaissent que « la responsabilité première pour la prévention et la détection des fraudes incombe aux personnes constituant le gouvernement d’entreprise et à la direction ».
Il revient à ceux-ci de mettre en place un environnement de contrôle adéquat et de promouvoir une culture d’honnêteté et un comportement éthique au sein de l’entreprise: il s’agit de gérer le risque de fraude.
De fuit, La gestion du risque de fraude est une composante à part entière du dispositif de bonne gouvernance. Outre la mise en place d’un environnement de contrôle adapté, elles ‘appuie sur des mesure telles que :
- L’élaboration et la diffusion d’un code éthique souvent appelé code de bonne conduite regroupant un ensemble de valeurs et de principes à respecter. Sa diffusion à l’ensemble de l’entreprise vise à sensibiliser tout le personnel.
- des mesures propres à limiter la propension à la fraude et à décourager le passage à l’acte (réduction des pressions, promotion du personnel méritant, rémunérations décentes).
- La charte anti-fraude qui comporte un énoncé des activités illégales y compris au profit de l’entreprise
- Des mesures de protection des salariés qui dénoncent la fraude comme par exemple:
- la mise en place d’une ligne téléphonique de signalement anonyme.
- l’insertion d’une clause de conscience dans les contrats de travail surtout pour les cadres comptables et financiers
- «Communiquer sur les sanctions prises et les règles du jeu » (Deloitte SA, 2005) en cas fraude découverte
Conclusion
Dans cet article, nous avons présenté la taxonomie de la fraude, c’est-à-dire ses différentes facettes, le profil du fraudeur et les facteurs dont la réunion est susceptible d’entraîner la commission de la fraude. Nous avons particulièrement souligné l’ambiguïté à laquelle le CAC peut être confronté lorsqu’il s’agit de distinguer l’erreur de la fraude.