Dans le modèle de base, les choix du consommateur sont supposés rationnels : compte tenu de leurs préférences, il tire le meilleur parti possible des informations et des ressources dont il dispose. Or rien ne garantit qu’il en soit ainsi : les agents font-ils toujours des choix cohérents ? Réagissent-ils de façon rationnelle aux changements de leur environnement économique ?
Pour répondre à ces questions, le mieux est de tester, par une démarche expérimentale, le degré de rationalité des comportements, et plus
généralement de repérer expérimentalement les régularités dans le comportement du consommateur.
Le développement de l’économie comportementale va dans ce sens : le terme désigne un vaste champ d’études visant à observer les comportements des agents économiques afin d’étudier les raisons d’éventuelles déviations entre les comportements observés et les prédictions des modèles théoriques, en s’appuyant sur un raisonnement expérimental identique à celui des sciences de la nature.
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Elle peut s’appuyer sur différentes méthodes :
- Des « expériences de laboratoire » pour tester une hypothèse dans un environnement contrôlé afin de raisonner « toutes choses égales par ailleurs », en demandant par exemple à un public réuni dans une même salle de procéder à des choix de manière anonyme, en contrepartie généralement d’une compensation monétaire. On parle aussi d’économie expérimentale. Ce terme est généralement réservé aux expérimentations de laboratoire, mais la démarche expérimentale est utilisée dans d’autres contextes comme nous pouvons le voir dans les points suivants.
- Les « expériences contrôlées » se déroulent dans un environnement naturel (non créé artificiellement pour les besoins de l’expérience), et consistent à modifier une règle ou un mécanisme pour en observer les effets économiques. On compare un « groupe test » soumis au changement de règle dont on étudie l’impact, et un « groupe de contrôle » qui ressemble en tout point au premier, sauf qu’il n’est pas affecté par le changement considéré. Les expériences contrôlées reposent sur une méthodologie statistique très proche de celle que l’on utilise en biologie ou en médecine, par exemple pour tester les effets d’un médicament .
- Les « expériences naturelles » se déroulent également dans un environnement naturel, mais s’appuient sur l’examen d’une situatio accidentelle, non voulue par le chercheur, qui permet de « simuler » l’effet d’une variable dans des conditions quasi-expérimentales. Par exemple, la comparaison de la consommation culturelle dans les villes où l’on ouvre un cinéma et dans des villes équivalentes mais sans cet événement permet de raisonner « toutes choses égales par ailleurs » sur les effets de l’offre culturelle sur les comportements, à condition de contrôler rigoureusement que les deux types de villes ont les mêmes caractéristiques dans l’échantillon.
Cependant, les travaux d’économie comportementale montrent que les agents ne se comportent pas toujours de façon rationnelle au cours de leur cycle de vie : ils peuvent par exemple faire preuve d’incohérence temporelle, c’est-à-dire ne pas agir demain comme ils prévoient de le faire aujourd’hui.
Par exemple, les agents ont tendance à reporter au lendemain la décision d’épargner, alors qu’ils regretteront ce choix dans le futur, on parle
d’effet procrastination. Dans ces conditions, l’absence de régulation du marché conduit à une mauvaise allocation des ressources, car les agents consomment davantage qu’ils ne le feraient s’ils parvenaient à maintenir des choix cohérents.
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Cette myopie des acteurs est souvent mise en avant pour justifier l’intervention tutélaire de l’État. Par exemple, l’assurance automobile
au tiers est rendue obligatoire par l’État, de même que l’assurance du logement.
Certains économistes proposent de substituer des incitations à la fonction tutélaire de l’État. R. Thaler et C. Sunstein suggèrent ainsi, à partir d’études expérimentales, de mettre en place des « coups de pouce » (ou nudges en anglais) de nature à aider les agents à faire de meilleurs choix.
Les agents ayant souvent du mal à changer leurs habitudes mêmes quand les conditions se sont modifiées (ce que l’on appelle le biais de statu quo), les auteurs conseillent ainsi par exemple de mettre en place des options de « choix par défaut » en faveur des plans d’épargne-retraite.
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Dans ces conditions, sauf si un individu exprime explicitement son refus pour cette option, on considère par défaut qu’il souhaite souscrire à un plan d’épargne retraite. Les études expérimentales montrent en effet que la décision de « décocher » un choix que l’on sait favorable dans une liste d’options n’est pas équivalente au choix symétrique de « cocher » cette option.
Ces auteurs défendent donc un paternalisme libertarien, c’est-à-dire une attitude incitative de la part des autorités publiques, qui aide les individus à faire de meilleurs choix sans se substituer à eux.
Les recherches en économie comportementale ont joué un rôle majeur dans l’évolution de la microéconomie ces dernières décennies, et ont valu le Prix Nobel d’économie à R. Thaler en 2017. Elles se sont particulièrement intéressées à la rationalité des choix de consommation.
Un agent est rationnel s’il est capable d’évaluer les différentes options qui s’offrent à lui, et de faire ensuite des choix cohérents par rapport aux fins poursuivies et aux ressources dont il dispose.
Les travaux expérimentaux montrent qu’en fait la rationalité des agents est limitée et contextuelle, c’est-à-dire que les agents ne sont pas toujours en situation de faire « les meilleurs choix », et suivent des procédures de décision variables en fonction du contexte.
Ils font parfois preuve de biais cognitifs, c’est-à-dire de tendances régulièrement observées à s’écarter du comportement attendu de la part d’un agent rationnel. Voici quelques exemples adaptés à la demande de biens culturels :
L’effet de dotation
L’effet de dotation intervient quand un agent accorde plus de valeur à la détention d’un objet qu’à son acquisition alors qu’un agent rationnel devrait considérer que l’utilité marginale de l’acquisition d’un bien supplémentaire est équivalente à la désutilité marginale de sa session.
Par exemple, être disposé à payer moins cher pour acquérir un CD d’occasion que le prix exigé pour s’en séparer. En présence d’effets de
dotation, les préférences du consommateur ne sont plus systématiquement transitives, autrement dit les courbes d’indifférences peuvent « se croiser », ce qui nous éloigne du modèle standard vu précédemment.
L’effet de dotation intervient dans de nombreux domaines comme le montrent les travaux de D. Kahneman (prix Nobel en 2002). Par exemple, les opérateurs de services multimédia (internet, téléphone mobile, abonnement télévisé…) peuvent faire payer plus cher les « anciens clients » qui ne souhaitent pas changer leurs habitudes et sont donc enclins à accepter un tarif plus élevé que les « nouveaux clients », qui doivent être attirés par des tarifs plus avantageux, car ils ne sont pas encore « dotés » de ce bien et n’ont donc pas d’attachement particulier pour lui.
Les agents n’évaluent pas toujours correctement le prix qu’ils seraient prêts à payer pour obtenir un bien, mais ils s’efforcent de maintenir cohérents leurs choix, sur une base très conventionnelle : c’est ce qu’on appelle la « cohérence arbitraire ».
Par exemple, des agents sont prêts à payer un spectacle particulier à des tarifs très différents selon les circonstances de leur choix, et les comparaisons qu’ils peuvent faire avec d’autres prix, qui servent de point de comparaison arbitraire.
Une expérience de vente aux enchères menée par D. Ariely (2008) montre ce processus à l’œuvre : on vend différents biens aux enchères, en demandant au préalable aux agents d’inscrire comme prix de départ les deux derniers chiffres de leur numéro de sécurité sociale ; ils sont ensuite libres de fixer leur prix maximal d’achat et celui qui a indiqué le prix le plus élevé emporte l’enchère.
L’expérience montre que le prix de départ, purement arbitraire, sert bien de point d’ancrage aux prix demandés ensuite, la corrélation statistique entre les deux étant très forte.
Le biais d’ancrage qui en résulte se vérifie dans de nombreuses circonstances, et les firmes en jouent car il est souvent très avantageux de parvenir à imposer un tarif comme « normal » du point de vue des consommateurs.
Au cours des années 2000, les ventes de musique en ligne sur des sites comme celui d’Apple ont été l’occasion par exemple d’un nouvel « ancrage » des prix sur une norme différente du prix du CD.
Si les consommateurs sont prêts au fond à accepter des prix très différents pour un même type de bien, la régulation publique des marchés est donc nécessaire pour éviter que les firmes n’en jouent systématiquement.
Les travaux d’économie comportementale mettent en avant l’existence de nombreux autres biais cognitifs (biais de représentativité, aversion aux pertes, etc.).
Ils ne condamnent pas pour autant le modèle standard du consommateur, mais poussent à adopter une attitude « agnostique », selon ce que nous apprend l’étude empirique d’un marché particulier, pour décider s’il est pertinent de l’utiliser ou s’il faut au contraire rechercher d’autres modèles.