Les alliances stratégiques, pour peu qu’elles soient structurées correctement et qu’elles répondent à des objectifs viables et précis, ont un potentiel de création de valeur élevé, même si elles posent des problèmes de management ardus. Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on appelle une alliance stratégique.
Table de matières
Qu’est-ce qu’une alliance stratégique ?
Définition d’une alliance stratégique
Une alliance stratégique est une coopération :
- à moyen/long terme, décidée au plus haut niveau et revêtant une importance stratégique pour les entreprises impliquées ;
- généralement bilatérale (ou limitée à un petit nombre de partenaires) ;
- souvent nouée entre des entreprises concurrentes ou potentiellement concurrentes (condition non nécessaire mais fréquemment vérifiée) ;
- focalisée sur un projet de croissance concret et bien défini (les autres activités des partenaires restent hors du cadre de l’alliance) ;
- mise en œuvre en coordonnant les compétences et les ressources des partenaires pour développer, produire et/ou commercialiser des produits et des services (certaines alliances sont limitées à la R&D ou à la commercialisation par un partenaire d’un produit développé par l’autre ; d’autres couvrent toute la chaîne de valeur, du développement jusqu’à la commercialisation d’une offre commune) ;
- fondée sur le partage du pouvoir de décision entre les entreprises alliées (il n’y a pas de lien de subordination ou de contrôle entre les partenaires ; ceux-ci restent indépendants et libres de leur stratégie et de leur organisation sur toutes les activités exclues de l’alliance) ;
- dotée d’une clause d’exclusivité réciproque (chaque partenaire s’engage à ne pas concurrencer directement les activités de l’alliance, que ce soit de manière autonome ou à travers d’autres alliances).
Ne pas confondre alliance et fusion
Comme les fusions, les alliances sont des opérations à caractère stratégique, décidées au plus haut niveau, et qui doivent être gérées de manière spécifique.
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La collaboration est limitée à un périmètre précis
Les alliances portent sur des projets précis. Elles permettent d’exploiter les synergies entre les partenaires en circonscrivant précisément le domaine de la collaboration, ce qui est un avantage significatif par rapport aux fusions-acquisitions. En effet, les fusions ont souvent l’inconvénient d’entraîner soit des diversifications non désirées, soit une concentration excessive du secteur.
C’est pourquoi les fusions sont fréquemment suivies d’une phase de recentrage, longue et coûteuse, qui consiste à se débarrasser des activités trop éloignées du cœur de métier ou à réduire la part de marché dans le secteur cible pour répondre aux injonctions des autorités de réglementation de la concurrence.
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Les intérêts des partenaires peuvent diverger
L’absence de lien de subordination et le partage du contrôle qui caractérisent les alliances contraignent les partenaires à « négocier » constamment entre eux pour prendre des décisions. Aucun allié ne peut imposer son point de vue à l’autre. Chaque allié dispose d’une latitude suffisante pour défendre ses propres intérêts et pour mettre en œuvre sa propre stratégie.
Dans une alliance, rien ne garantit donc que les stratégies et les objectifs des partenaires soient constamment convergents. Ce manque de convergence peut entraîner les alliances dans une spirale de surcoût et d’inefficacité.
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Le fait que les partenaires conservent leur autonomie présente toutefois des avantages. En effet, la protection d’une certaine marge de manœuvre stratégique se double d’une préservation de l’identité et de la culture interne des entreprises alliées, qui subissent en général des chocs redoutables dans les cas d’acquisition. Les alliances sont exemptes des coûteuses phases de post-merger intégration qui suivent les fusions.
La performance est difficile à évaluer
Alors que la performance des fusions-acquisitions est une préoccupation fondamentale pour les investisseurs, la performance des alliances reste souvent mal connue pour l’extérieur. Contrairement à ce qui se passe dans les acquisitions, dans les alliances, il n’y
a pas de prime d’acquisition, le chiffrage des synergies n’est pas rendu public et la performance elle-même est rarement communiquée.
Ce problème d’évaluation de la performance rend la gouvernance des alliances particulièrement difficile : il n’y a pas d’instance supérieure qui force les partenaires à aligner leurs intérêts et à maximiser la profitabilité du projet commun.
Pourquoi former des alliances ?
D’un point de vue économique, les alliances stratégiques créent de la valeur en exploitant les synergies existant entre les entreprises alliées. Ces synergies peuvent être de deux types : des synergies de coût, fondées sur les économies d’échelle, et les synergies de « lien », fondées sur les complémentarités entre partenaires.
Cette distinction entre échelle (scale) et lien (link) est à l’origine de la théorie économique de la formation des joint-ventures. Ces objectifs économiques peuvent se combiner avec d’autres buts stratégiques que nous allons aborder.
Faire des économies d’échelle
Les alliances stratégiques permettent d’obtenir certains des avantages que procurent habituellement les opérations de concentration, sans subir les contraintes des fusions.
Les entreprises alliées peuvent ainsi bénéficier, en unissant leurs forces sur une activité donnée, d’effets d’échelle ou d’expérience, réservés en principe à des groupes plus importants, sans cependant se fondre totalement dans une entité plus vaste et sans aliéner définitivement leur autonomie stratégique.
Ces effets d’échelle sont particulièrement recherchés dans les alliances entre concurrents. Si tant d’alliances se sont nouées depuis la fin des années 1950 entre des firmes européennes dans l’aéronautique et l’armement, c’est parce que ces domaines sont très
sensibles aux économies d’échelle, tout en étant soumis à des impératifs d’indépendance nationale.
Les économies d’échelle auraient dû favoriser la concentration, mais la contrainte politique pousse au maintien de groupes nationaux autonomes et s’oppose donc à toute concentration internationale. Les alliances apparaissent comme une réponse possible, permettant d’atteindre la taille critique tout en évitant les fusions.
Même sans contrainte politique, dans des secteurs où la taille critique est très élevée sur certains éléments de la chaîne de valeur, comme par exemple la chimie ou l’automobile, les concurrents forment des alliances pour regrouper les volumes et rendre viables certains projets qui auraient été sous-dimensionnés s’ils avaient été lancés par une entreprise seule. Les grands groupes chimiques créent ainsi des usines communes pour fabriquer certains produits intermédiaires qui nécessitent des volumes très élevés.
De même, les constructeurs automobiles investissent parfois conjointement dans des usines communes pour produire des moteurs ou même certains modèles de véhicules.
Dans ce genre de situation, une alliance est préférable à une fusion, car la nécessité de collaborer ne porte que sur une partie des activités des partenaires.
Combiner des compétences complémentaires
Les alliances stratégiques permettent aussi de combiner des compétences et des actifs complémentaires pour créer de nouvelles activités ou améliorer la performance d’activités existantes. C’est souvent l’effet recherché dans les alliances entre des entreprises
qui ne sont pas directement concurrentes, mais opèrent dans des secteurs connexes.
Ces alliances ont pour but de créer un business nouveau ou d’améliorer les performances d’un business existant, sans qu’il soit utile de fusionner les entreprises impliquées, souvent parce que le nouveau business créé grâce à l’alliance ne représente qu’une petite partie du portefeuille d’activités des protagonistes.
Apprendre
Les alliances créent des opportunités d’apprentissage et de transfert de compétences entre les entreprises alliées.
Les alliances sont un outil d’apprentissage performant lorsqu’il s’agit d’accéder à des compétences non disponibles sur le marché. Certains savoir-faire ne peuvent pas être transférés en signant des contrats de transfert de technologie, ni en débauchant quelques personnes clés, soit parce qu’ils sont difficilement codifiables, soit parce qu’ils sont détenus par une collectivité dans son ensemble. Intimement liés à l’organisation qui les possède, ils nécessitent de reproduire l’organisation en question pour être expérimentés et communiqués, d’où la nécessité de nouer des alliances.
Paradoxalement, les alliances facilitent davantage l’apprentissage que les fusions-acquisitions. Les opportunités d’apprentissage proviennent de l’existence de fortes différences de compétences entre les entreprises partenaires, différences qu’il s’agit de
comprendre et de faire durer si l’on veut que l’apprentissage soit possible. Or les acquisitions ont tendance à réduire ces différences pour intégrer l’entreprise acquise dans l’organisation et les systèmes de l’entreprise acquéreuse, rendant plus complexe l’apprentissage mutuel. Intégrer une petite entreprise innovante et spécialisée dans une grande organisation, c’est courir le risque de tuer la poule aux œufs d’or.
Il existe toutefois un débat entre les experts des alliances sur les bienfaits et les méfaits de la coopération en matière de transfert de compétences.
Se protéger contre des concurrents plus puissants
Les alliances stratégiques permettent à des concurrents en position de faiblesse de former des coalitions pour améliorer leur position concurrentielle.
Il n’est pas rare qu’une fusion importante dans une industrie déclenche une vague de concentration par réaction en chaîne de la part des concurrents. Dans un tel contexte, certains acteurs peuvent réagir en optant pour des alliances plutôt que des acquisitions.
Ces stratégies défensives peuvent avoir des aspects anticoncurrentiels, éventuellement illicites. Des concurrents qui se sentent menacés par l’évolution de leur industrie peuvent en effet, sous couvert d’alliance stratégique, s’entendre sur les prix de vente,
ou ériger des barrières à l’entrée artificielles, et ainsi cartelliser le marché.
La différence entre une alliance stratégique et une entente anticoncurrentielle n’est pas toujours évidente, c’est pourquoi les autorités anti-trust sont très vigilantes sur ce genre de rapprochements. Pendant longtemps, les autorités américaines ont d’ailleurs eu une attitude plus limitative sur les alliances entre concurrents que sur les fusions en bonne et due forme.
Créer une « option » stratégique pour l’avenir
Les alliances n’étant pas des mariages irrévocables, elles autorisent un certain degré de réversibilité. Toute alliance crée – explicitement ou non – la possibilité pour chaque entreprise impliquée d’abandonner le projet au profit de son partenaire, ou au contraire de continuer seul la même activité.
Ce mécanisme d’option, qui s’apparente à celui des stock-options (droit d’acheter ou de vendre à l’avenir des actions à un prix fixé à l’avance), est clair dans certains joint-ventures où les « parents » s’entendent dès le départ sur des clauses de sortie spécifiant à quelles conditions chaque partenaire peut vendre ses parts ou acheter celles de l’autre.
De telles clauses peuvent ouvrir les droits d’achat ou de vente à tous les partenaires, ou bien spécifier que seul l’un des partenaires a le droit de rachat. La principale difficulté dans la rédaction de ces clauses est de définir la méthode de valorisation des parts et les délais à partir desquels l’option peut être exercée.
Grâce à cette logique d’option, les alliances peuvent devenir des instruments de mise en œuvre de la stratégie de croissance d’une entreprise dans des contextes de forte incertitude. Qu’il s’agisse de développer l’entreprise sur des marchés mal connus ou de la recentrer en abandonnant certaines activités difficiles à valoriser, former un joint-venture permet d’enclencher le processus immédiatement mais prudemment, en se réservant l’option de prendre le contrôle total, ou au contraire de désinvestir complètement, quand on jugera que le moment est propice.
Dans le cas de la conquête d’un nouveau marché, l’alliance sert de projet pilote pour comprendre les conditions locales et tester les perspectives de croissance avant de se lancer en vraie grandeur quand l’incertitude se réduit.
Dans le cas où l’entreprise cherche à se retirer d’une activité, l’alliance est une étape transitoire vers une cession complète, étape pendant laquelle le vendeur transmet son savoir-faire à l’acheteur. Celui-ci peut alors se faire une idée précise de la valeur de
l’activité qu’il acquiert.
Notons à ce propos qu’assimiler systématiquement à une stratégie du cheval de Troie les alliances qui se terminent par le rachat des parts d’un partenaire par l’autre serait erroné. Cette issue peut parfaitement correspondre au fait qu’un des alliés a exercé une option de rachat qui lui était contractuellement consentie.
Typologie des alliances
Sur le plan de la forme, les alliances sont caractérisées par une très grande hétérogénéité, et il est nécessaire de distinguer les différents types de coopération possibles.
Dans ce cadre, quatre dimensions peuvent permettre de caractériser une alliance:
La première concerne le nombre de partenaires impliqués dans l’accord. Si la grande majorité des alliances impliquent deux entreprises partenaires (alliances bilatérales), certaines coopérations regroupent un nombre plus important de partenaires (alliances multilatérales). Ces« consortiums» s’observent notamment dans des secteurs anciens, arrivés à maturité, dans lesquels l’objectif de taille est fondamental, soit dans le but de profiter d’économies liées aux effets de volume, soit pour imposer un standard à l’échelle internationale, soit pour accéder à des ressources permettant de fa ire face aux attentes des clients.
La deuxième concerne la dimension capitalistique. Il faut alors distinguer les alliances donnant lieu à des prises de participations de capital de l’un et/ou de l’autre (alliances capitalistiques) et les alliances n’impliquant pas de partage du capital par les alliés et généralement régies par des contrats de long terme (alliances non capitalistiques). En ce qui concerne les alliances capitalistiques, elles se concrétisent par deux cas de figure:
- soit l’un et/ou l’autre des entreprises prend une participation dans le capital de son partenaire ;
- soit les partenaires de l’alliance partagent (à égalité ou pas) la propriété et le contrôle d’une entité commune juridiquement indépendante (co-entreprise ou «joint venture»).
La troisième dimension concerne l’origine géographique des partenaires. On distinguera ici les alliances regroupant des entreprises issues d’un même pays (alliances domestiques) des alliances impliquant des partenaires de nationalités différentes (alliances internationales). Depuis une vingtaine d’années, on constate une multiplication des alliances internationales (qui constituent aujourd’hui la majorité des accords), impliquant notamment des firmes issues des pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).
Enfin, la quatrième dimension considère la position relative des partenaires dans le secteur d’activité ou la filière économique. Ce critère nous permet de différencier les alliances impliquant des entreprises évoluant dans le même secteur d’activité (alliance horizontale), celles regroupant des entreprises qui entretiennent des relations de fournisseur à acheteur dans une filière économique (partenariat vertical) et celles impliquant des firmes n’appartenant pas à la même industrie (alliance intersectorielle).
Logiques des alliances
Les alliances peuvent également être classées en fonction de l’objectif poursuivi.
Comme dans le cas de la FIA, l’alliance constitue un support de la stratégie de croissance (spécialisation, diversification, expansion ou internationalisation). Dans ce cadre, on distingue traditionnellement deux catégories d’alliance susceptibles de contribuer à la réalisation d’un axe de croissance (Garette et Dussauge, 1995):
celles qui reposent sur la mise en commun de ressources similaires (alliances endogènes ou d ‘échelle) et celles qui impliquent de regrouper des ressources différentes (alliances exogènes ou complémentaires).
Les alliances endogènes
Les alliances endogènes associent généralement des partenaires très similaires (compétences, technologies ou taille) qui vont cumuler leurs actifs et leurs compétences pour améliorer leur expertise ou pour atteindre une taille critique. L’alliance leur permet de profiter d’effets de volume (économies d’échelle et effets de taille) mais aussi d’un élargissement de leur marché, issu du cumul des parts de marché des deux entreprises.
Les entreprises impliquées dans l’alliance profitent ainsi des mêmes avantages que ceux dont bénéficie un concurrent de plus grande taille.
Ce type d’alliance constitue prioritairement un support de la spécialisation, dans le cadre de laquelle l’entreprise cherche à développer un avantage concurrentiel de coût (par le biais de l’augmentation de sa taille) et/ou de différenciatio n (p a r le biais de l’amélioration de son expertise technologique ou commerciale) sur son activité principale.
L’accès à la taille efficiente minimale constitue dans certains cas une barrière à l’entrée forte pour certains secteurs d’activité (automobile ou industrie pharmaceutique par exemple) ou certaines zones géographiques, que les nouveaux entrants ne pourront surmonter qu’en s’associant. Dans ce contexte, l’alliance endogène peut également être le moyen de pénétrer un nouveau marché sectoriel ou géographique, et constituer le support d’une stratégie de diversification ou d’internationalisation.
Les alliances exogènes
À l’inverse, les alliances exogènes se caractérisent par le regroupement d’entreprises mettant en commun des ressources différentes, dans le but de mettre en œuvre un projet de croissance donné. Les partenaires vont ainsi chercher à bénéficier de la complémentarité de leurs ressources pour réaliser des synergies ou profiter de transferts de connaissance.
Ce type d’alliance constitue prioritairement un support de la diversification ou de l’internationalisation. Dans le cas d’une diversification, c’est la combinaison des compétences respectives de chacun des partenaires qui va leur ouvrir les portes d’une nouvelle activité.
Dans le cas d’une internationalisation, l’entreprise souhaitant se développer à l’extérieur de ses frontières pourra s’allier avec un partenaire local. Elle apportera ses produits, sa technologie ou ses capitaux alors que le partenaire local apportera par exemple son expertise en termes de connaissances des attentes des consommateurs, de maîtrise de la réglementation ou d’implantation au sein des réseaux de distribution.
Comment faire fonctionner une alliance stratégique ?
Quelques principes peuvent aider les entreprises à atteindre les objectifs des alliances tout en évitant leurs pièges.
Le succès n’est pas seulement lié au contrat
Les alliances stratégiques sont ce que les économistes appellent des « contrats incomplets », c’est-à-dire des arrangements complexes où il est difficile d’envisager au départ tout ce qui va pouvoir se produire pendant la coopération. Il arrive souvent que les responsables des entreprises impliquées dans une négociation dépensent une énergie et un temps excessif pour négocier chaque ligne d’un contrat couvrant des centaines de pages, tout en sachant que par la suite l’alliance va se développer de manière imprévisible.
Les dirigeants expérimentés s’accordent à reconnaître que, dans les alliances qui se passent bien, plus personne ne relit le contrat.
Une fois l’alliance signée, dès que les équipes se mettent en place pour établir la coopération, l’objectif principal devient de développer le projet commun quoi qu’il arrive, et non de respecter le contrat à la lettre. Ce n’est qu’en cas de crise aiguë que l’on se réfère à l’accord écrit.
Et c’est en général mauvais signe, car si on le consulte, c’est généralement pour étudier les modalités de sortie. Il en va des contrats d’alliance comme des contrats de mariage : on ne les relit qu’en cas de divorce. C’est pourquoi les clauses de sortie y occupent en général une place de choix, et qu’elles doivent être rédigées avec soin.
Rechercher les clés du succès d’une alliance stratégique dans le montage juridique, ce serait comme chercher la recette de l’harmonie conjugale dans un contrat de mariage.
Les structures juridiques ne font que protéger les entreprises alliées contre les risques de tricherie d’un partenaire par rapport à l’autre. Elles ne garantissent pas que la stratégie qui a conduit à former l’alliance soit pertinente, ni que les projets communs des partenaires réussissent. Les montages juridiques sont indispensables pour former l’alliance et pour la défaire ; en revanche, ils ont généralement peu d’impact sur son développement et sa réussite. Le succès d’une alliance réside plutôt dans la stratégie des entreprises impliquées et dans l’organisation mise en place.
Définir des objectifs stratégiques clairs
Définir des objectifs stratégiques clairs, comprendre ceux du partenaire, se méfier du discours « win-win »
Dès la négociation d’une alliance, le marchandage qui entoure fréquemment le montage juridique et organisationnel élude très souvent les implications stratégiques de la coopération pour se focaliser sur des questions de personnes ou des aspects contractuels, comptables et financiers, tels que la répartition du capital d’une éventuelle filiale commune, la négociation des prix de cession entre partenaires, la nomination des responsables du projet commun, etc. Ce marchandage peut même faire échouer la
négociation ou brider le développement de l’alliance.
Ce n’est pas parce que l’alliance finit par être signée que le problème est résolu pour autant. Par nature, une alliance laisse subsister tout au long de son existence des centres de décision multiples.
Les prises de décision résultent souvent d’un compromis entre les points de vue des différents partenaires, ceux-ci cherchant selon toute vraisemblance à faire prévaloir ou à défendre leurs intérêts.
De tels compromis peuvent conduire à de mauvaises décisions stratégiques, voire à une absence de stratégie pour l’alliance. Il est donc indispensable de formuler clairement les objectifs stratégiques que poursuit l’alliance.
Ceux-ci serviront de référence pour trancher entre les points de vue des partenaires. Or, dans la pratique, les discussions sur les objectifs de l’alliance sont souvent perturbées par le fait que les entreprises impliquées mélangent, sciemment ou non, leurs objectifs communs avec les objectifs spécifiques à chaque partenaire. Par définition, ces deux types d’objectifs s’amalgament dans les alliances.
D’un côté, les partenaires affichent des objectifs communs et partagés. Sans cette convergence, l’alliance ne se ferait pas : tous les dirigeants expérimentés en la matière insistent sur le fait que seules les alliances win-win, c’est-à-dire celles où tous les partenaires ont quelque chose à gagner, sont viables.
D’un autre côté, comme les partenaires demeurent des entreprises autonomes et parfois concurrentes, les alliances stratégiques sont aussi le vecteur d’objectifs particuliers, potentiellement conflictuels, propres à chaque firme. Certains dirigeants, pressés de former une alliance, ont tendance à nier ces contradictions potentielles en se réfugiant dans un discours win-win simplifié : du moment que le projet commun réussit, les deux entreprises alliées y gagnent forcément en collaborant. C’est pourtant loin d’être toujours le cas.
Pour formuler précisément les objectifs stratégiques d’une alliance, on peut les classer en trois catégories :
Les objectifs « communs », c’est-à-dire les objectifs du projet mené en coopération, qui doivent être chiffrés autant que possible (par exemple, vendre telle quantité de produits, à telle échéance, etc.). Ces objectifs doivent être fixés comme on le ferait pour élaborer le business plan d’une activité quelconque, en mettant de côté le fait que le projet concerné soit mis en œuvre en alliance.
Les objectifs propres à chaque partenaire qui sont cohérents avec les objectifs communs et/ou ne posent pas de problème à l’autre partenaire (par exemple, utiliser l’alliance pour se développer dans une activité non concurrente de celle du partenaire).
Les objectifs spécifiques à chaque partenaire qui peuvent nuire à la coopération et/ou entrer en conflit avec les objectifs de l’autre partenaire (par exemple, capter tel savoir-faire et se développer à terme dans une activité concurrente de l’alliance).
Nous recommandons de discuter ouvertement et de trouver un accord sur les trois types d’objectifs avant de se lancer dans une alliance. En effet, dans de nombreuses négociations, les partenaires jettent un voile pudique sur les objectifs du troisième type,
qui en restent au stade de « l’agenda caché », véritable poison des alliances.
Or, quand ces objectifs du troisième type finissent par se manifester, il est en général trop tard. Il vaut mieux être clair sur ces sujets dès le départ, quitte par exemple à chiffrer et monnayer les compétences qu’un partenaire veut acquérir et à écrire les clauses de sortie en conséquence, ou à proposer une contrepartie dans un autre domaine.
Sachant que l’alliance ne sera jamais une structure totalement optimisée car chaque partenaire va l’utiliser pour atteindre non seulement les objectifs « communs », mais aussi des objectifs qui lui sont propres, la clé est de mettre en place un système de partage des investissements, des coûts et des gains qui distingue clairement ce qui est partagé de ce qui reste propre à chaque partenaire.
Il est important de s’accorder sur des critères clairs pour mesurer l’atteinte des objectifs.
Il est surprenant de constater que, dans certaines alliances, les difficultés proviennent d’un simple malentendu : ce qui semble un succès satisfaisant pour un partenaire peut être vu comme un échec par l’autre, situation pourtant facile à éviter.
Structure, décision et échéance
Se mettre d’accord sur la structure les processus de prise de décision et les échéances
Tous les responsables impliqués dans le management des alliances se plaignent des difficultés que crée la coopération dès qu’il s’agit de prendre des décisions, même sur la base d’objectifs clairs et explicites.
La composition des comités de direction des joint-ventures, qui comprennent souvent un nombre égal de représentants des deux partenaires, le désir des dirigeants de noyauter autant que possible la structure en plaçant des « hommes à eux » pour surveiller les agissements du partenaire, sont autant d’éléments qui conduisent chaque allié à perdre de vue les objectifs de l’alliance pour défendre ses intérêts spécifiques.
Les études montrent que, quelle que soit la valeur relative des actifs apportés par les entreprises partenaires lors de la formation de l’alliance, l’écrasante majorité des joint-ventures sont des accords à 50/50, ou très proches de 50/50 (par exemple 51/49), ce
qui montre bien que les entreprises n’acceptent de collaborer qu’à condition d’avoir un pouvoir suffisant dans les prises de décision. Cet équilibre du pouvoir a ses vertus, mais il conduit à des blocages lorsque les intérêts des partenaires commencent à diverger.
Le remède consiste à mettre en place une organisation suffisamment autonome pour éviter les blocages et les conflits entre partenaires, ou, au moins, capable d’arbitrer lorsque ces blocages et ces conflits se manifestent.
Les joint-ventures les plus performants sont souvent dotés d’un responsable autonome, capable de prendre des décisions dans l’intérêt du projet commun, en limitant au minimum les interférences des entreprises actionnaires. Dans certaines alliances, ce responsable détient une voix prépondérante au comité de pilotage de l’alliance, ce qui lui permet de débloquer les décisions sur lesquelles les représentants des actionnaires ne sont pas d’accord.
En outre, il est important de prévoir des échéances auxquelles la stratégie de l’alliance peut être rediscutée ou remise en cause, et des échéances précises auxquelles l’alliance peut être dissoute ou renégociée, sachant qu’en dehors de ces échéances, l’alliance doit être aussi stable que possible.
Anticiper l’évolution de l’alliance et ses conséquences stratégiques
Dans une alliance stratégique, chaque entreprise impliquée devrait anticiper l’évolution de l’alliance, son issue et surtout ses effets à long terme pour elle-même et pour son allié. Or, de nombreuses entreprises nouent des alliances pour atteindre des objectifs immédiats et limités, en sous-estimant les implications stratégiques à long terme.
Si, dans certains cas, une entreprise peut voir sa situation affectée de manière marginale par sa participation à une alliance, dans d’autres cas, une telle participation peut avoir des conséquences plus importantes, voire dramatiques.
Il est donc capital, dès la formation d’une alliance et tout au long de son existence, d’anticiper autant que possible les évolutions qu’elle est susceptible de subir, et les implications stratégiques de ces issues.
C’est en menant cet exercice que l’on peut décider s’il faut nouer l’alliance ou pas, et, par la suite, s’il faut la rompre, la prolonger ou en corriger les effets par d’autres mouvements stratégiques. Cela fait partie d’un savoir-faire de management des alliances que les entreprises doivent développer.
Les recherches montrent en effet que les entreprises qui développent ce savoir-faire obtiennent de meilleurs résultats en matière de collaboration que celles qui se contentent de gérer chaque alliance de manière spécifique et décentralisée.
D’autres recherches ont également montré que les évolutions des alliances stratégiques sont largement prédictibles en fonction du type d’alliance nouée au départ. Comprendre dans quelle catégorie se situe une alliance donnée permet de piloter son évolution et d’anticiper ses conséquences les plus probables.
les risques d’une alliance stratégique
Au même titre que les FIA, les alliances sont réputées être des manœuvres à haut risque et les taux d’échec sont souvent évalués à plus de 50%. Même s’il est difficile de valider ce chiffre, compte tenu de la difficulté à évaluer le succès ou l’échec d’une alliance, cette manœuvre induit effectivement de nombreux risques (Blanchot, 2006).
Trois écueils majeurs peuvent handicaper le bon fonctionnement d’une alliance:
Le premier est lié à l’individualisme des partenaires. Il induit un risque de comportements opportunistes, c’est-à-dire le risque que l’un des partenaires poursuive son intérêt personnel aux dépens de l’autre, en utilisant la ruse, la dissimulation ou la tricherie, en vue de s’approprier une plus grande part des bénéfices de la coopération (captation de savoir-faire, absence d’équité dans le partage coût/gain).
Le deuxième écueil concerne la forte incertitude inhérente à l’alliance. Cette incertitude est susceptible de modifier l’intérêt ou l’engagement des partenaires dans l’alliance. Elle porte tout d’abord sur l’environnement et son évolution initiée à la fois par les évolutions possibles des technologies, des attentes clients et des comportements des concurrents. Cette incertitude porte ensuite sur le comportement ou les intentions du partenaire qu’il est difficile d’apprécier du fait de phénomènes d’asymétrie d’information
Le troisième écueil est lié à l’incompréhension entre les partenaires, générée par leurs différences en termes de culture et de mode de management. Cette incompréhension mutuelle est susceptible de provoquer des phénomènes de rigidité ou de conflit, néfastes à l’atteinte des objectifs de l’alliance et de dégrader la confiance entre les partenaires.
Ces trois écueils peuvent induire un phénomène auto-entretenu dans lequel l’incertitude et l’incompréhension se combinent et amplifient la méfiance entre les parties, encourageant de ce fait une augmentation de l’individualisme et des risques de comportements opportunistes.
Conclusion
L’alliance associe deux ou plusieurs entreprises qui décident de mettre en commun des ressources dans le but de profiter d’effets de volume (ressources similaires) ou d’effets de complémentarité (ressources différentes). La diversité des partenaires (secteur, taille, pays, compétences, etc.) fait la richesse de la coopération mais la forte indépendance des partenaires expose l’alliance à des risques de conflit (comportement opportuniste, intérêts divergents, etc.).