On commencera par décrire les équipes-projets et les acteurs qu’elles mobilisent, avant de s’intéresser à la gestion de ces acteurs.
Table de matières
Les différentes configurations possibles des projets
L’introduction du projet dans les organisations modifie les mécanismes de commandement et de coordination. L’organisation matricielle est classiquement associée à l’introduction des projets, mais confondre la structure matricielle et l’organisation projet est une généralisation
hâtive et non contingente puisque la structure matricielle est seulement définie par la coexistence de deux critères de découpage des tâches, classiquement des métiers et des zones géographiques (Galbraith, 1971) sans qu’apparaissent forcément les projets.
Si tel est le cas, cette qualification est imprécise sur la distribution des rôles entre acteurs (et donc le rôle des métiers dans les projets) ainsi qu’entre projets et services fonctionnels.
Cette explicitation est proposée par Clark, Hayes et Wheelwright (1992) par le biais d’une typologie de quatre configurations différentes de la place du projet par rapport aux services fonctionnels et passant par une explicitation des rôles des acteurs, ce qu’illustre la figure 1.
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La terminologie utilisée ici pour repérer ces différents rôles est générique; on trouve en pratique une assez grande variété d’appellations entre les entreprises pour repérer un même rôle, ce qui implique qu’une même appellation peut correspondre à deux rôles différents dans deux entreprises différentes et ne facilite pas la communication sur ce thème. Par exemple, le terme de «chef de projet» renvoie en pratique à une grande variété de situations.
Avant de présenter ces configurations, il importe de souligner qu’il n’y a pas de modèle préférable aux autres dans tous les cas et qu’il est normal de faire coexister plusieurs de ces structures.
Le choix de la configuration d’un nouveau projet doit résulter d’une comparaison entre les coûts de fonctionnement induits et les avantages retirés, ce qui implique la prise en compte de la contingence de la forme organisationnelle à la nature du projet et du contexte, en particulier de sa taille, des risques encourus et de son degré de singularité par rapport à l’expérience de l’entreprise.
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Il faut ajouter qu’il peut être judicieux, pour les projets d’une certaine ampleur, de ne pas conserver la même structure au cours des principales phases du projet.
- Dans le projet en structure fonctionnelle, aucun individu n’a la responsabilité du processus global; ce sont les responsables hiérarchiques métiers qui assurent l’allocation et la coordination des différentes ressources mobilisées dans le projet, notamment celle des acteurs –métiers travaillant pour le projet.
- Le «coordinateur de projet» (lightweight project manager) est un acteur responsable de la coordination des activités qui n’a pas d’accès direct aux acteurs-métiers intervenant sur le projet. Il consolide les informations fournies par les hiérarchies métiers ou, parfois, par les correspondants chargés d’assurer la coordination des acteurs impliqués sur un même projet au sein de chaque métier (notion de «chef de projet – métier»).
Son rôle est d’animer des instances de coordination collective, la décision restant clairement de la responsabilité des hiérarchies métiers.
L’Afnor propose de réserver la dénomination de gestion de projet à cette fonction d’appui, de soutien méthodologique concernant le suivi du respect des spécifications techniques, des coûts et des délais.
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- Le «directeur de projet» (heavyweight project manager) a un statut comparable à celui des directeurs de métier: la délégation qu’il a de la direction générale est large, il dispose d’une équipe de chefs de projet – métier et jouit d’une grande autonomie d’animation et d’organisation. C’est pour ce type de mission que l’Afnor réserve le terme de direction ou de management de projet.
- Dans le «projet sorti» (tiger team organization), les acteurs qui travaillent sur le projet sont physiquement et institutionnellement sortis des structures métiers pour être rassemblés sous l’autorité du directeur de projet pendant la durée de leur intervention. Ils reviennent ensuite, soit dans leur métier d’origine, soit sur un autre projet.
D’un point de vue historique, on constate qu’à la fin des années quatre-vingt, dans les projets à rentabilité contrôlée des industries de production de masse, on est passé d’une structure fonctionnelle à une coordination de projet à une direction de projet forte. Dans d’autres cas, l’évolution est faible d’un point de vue organisationnel mais pas d’un point de vue instrumental.
Ainsi dans les grands projets d’ingénierie, le plus souvent de type B, le modèle du projet sorti prédomine tandis que celui de la direction de projets s’avère pertinent pour des projets de moindre importance.
On peut noter enfin que le projet de type D ne fait appel à aucun de ces archétypes: l’entreprise et le projet ne font qu’un et le directeur du projet est normalement le directeur de la start-up.
Ces repérages sur les organisations types de projets permettent de définir et de situer l’équipe-projet. Qu’est ce qu’une équipe-projet? Peut-on en repérer les limites dans l’espace de l’organisation? Quels sont les critères d’appartenance à une équipe-projet? Qui sont les
membres qui la composent? etc.
Les critères de définition peuvent être géographiques (par exemple, être présent sur le plateau du projet), contractuels (être mandaté pour intervenir dans un projet) liés à l’activité (ceux qui sont sur le projet et ceux qui n’en sont pas…). En outre la composition de l’équipe peut fluctuer au fur et à mesure des étapes du projet.
Il faut souligner que, dans de nombreux cas, une équipe-projet ne fait pas le projet mais le fait faire. Sur un petit projet, dans une start-up, c’est la somme des individus appartenant à l’équipe-projet qui fait le projet. Sur un projet de développement d’un nouveau véhicule automobile, l’équipe-projet a essentiellement une fonction de décision, d’interface et de mobilisation des acteurs-métiers.
Dans ces conditions, il s’agit de mettre en évidence la diversité des acteurs travaillant sur un projet et la variété de leurs rôles.
- Les acteurs-métiers sont rattachés à des services fonctionnels et mobilisés temporairement (sauf pour les projets sortis) sur un projet. La réussite de leur mission se juge à l’aune du périmètre de leur intervention, celui d’une fraction du projet.
- Les acteurs-projets (chefs de projet-métier, d’une part, et coordinateurs ou directeurs de projet, de l’autre) sont rattachés durablement au projet. Les acteurs-projets incarnent l’identité du projet là où les intervenants métiers n’ont qu’une contribution particulière et ponctuelle, celle pour laquelle ils sont mobilisés. Les acteurs-projets quant à eux sont responsables de la performance globale, résultat du compromis de toutes les interventions des métiers.
Finalement, c’est forcément un regroupement hétéroclite que nécessite la réussite de l’activité projet. En pratique, on est loin de l’image de l’équipe fusionnelle et indifférenciée, parfois associée aux équipes-projets dans la littérature sur le «team building» ou le «coaching».
L’équipe-projet, dans le cas d’organisation de type coordination ou direction de projet, peut se définir, de manière restrictive et stable, comme l’ensemble des acteurs-projets ou, de manière extensive et variable au cours du temps, comme la réunion de tous les contributeurs impliqués sur le projet à un instant donné, qu’ils soient acteurs-projets ou acteurs-métiers, étant entendu que l’existence éventuelle de relations de co-traitance peut conduire à étendre encore le périmètre du projet.
Par ailleurs, les acteurs-métiers impliqués et / ou les représentants des partenaires n’étant pas nécessairement les mêmes selon la temporalité du projet, des coupes longitudinales à des moments différents du projet peuvent conduire à des profils d’équipe différents. Dans le cas de projets sortis, le périmètre de l’équipe-projet comporte, a minima, les acteurs-projets et les acteurs-métiers détachés durablement sur le projet et peut comporter un ensemble plus ou moins conséquent d’acteurs appartenant à des entreprises contractantes.
Du point de vue de la DRH, l’équipe-projet sera plutôt vue dans son acception restrictive dans la mesure où les acteurs-métiers travaillant sur le projet relèvent d’une gestion conventionnelle.
Ces différentes conceptions sont illustrées au tableau 1.
Les typologies expliquent certaines différences observées entre les acteurs-projets de projets différents quant au cadre temporel de leurs missions, leurs responsabilités économiques et leurs relations avec les acteurs-métiers.
Si les limites temporelles d’une responsabilité de projet sont relativement claires dans les projets à coûts contrôlés, puisqu’un contrat constitue l’acte de naissance officiel du projet et en prévoit explicitement la fin, il n’en est pas de même dans les projets à rentabilité contrôlée. Le cadre temporel est alors généralement délimité par un jalon-amont terminant une phase dite «d’avant-projet» et par une réception située peu après le début d’exploitation de l’ouvrage.
Mais le contenu précis de ces jalons est loin d’être homogène. Le jalon initial est parfois un point de non-retour sur la réalisation effective du projet (pilotage en dérive) mais c’est parfois aussi une simple autorisation de passer à l’étape suivante, sans assurance que
Par exemple, sur le plateau d’un projet automobile d’un constructeur français, un salarié d’un sous-traitant de second rang d’un fournisseur espagnol peut travailler avec un salarié à temps partiel du client, les deux étant sous la coordination d’un acteur-projet, ingénieur résident d’un fournisseur de premier rang allemand.
Cette logique de réseau, lourde de conséquences (Giard, 2000), peut poser de multiples problèmes de gestion du personnel si les relations contractuelles liant les entreprises et celles liant les salariés et leurs employeurs sont insuffisamment imprécises et, même dans ce cas, des problèmes d’interprétation peuvent survenir sur le lien de dépendance hiérarchique entre le salarié et les entreprises dont il dépend.
le projet aboutira (pilotage en stop or go). Les avant-projets, que l’on retrouve aussi bien pour élaborer la réponse à un appel d’offre dans les entreprises d’ingénierie que dans les phases d’exploration préliminaire dans la création de produits manufacturés, posent des problèmes spécifiques dans la mesure où la date de début de l’avant-projet est souvent très difficile à déterminer, contrairement à celle du jalon final (Midler, 1993 et Garel, 1999).
La différence entre projets à coûts contrôlés et à rentabilité contrôlée explique des différences de responsabilité économique des acteurs-projets.
En règle générale, dans le premier cas, les spécifications techniques sont contractuellement définies par le maître d’ouvrage du projet qui assume les risques susceptibles de survenir au moment de l’exploitation. L’équipe-projet, qui se voit confier la maîtrise d’œuvre, peut difficilement renégocier ces spécifications et la rentabilité de cette affaire implique une bonne maîtrise des délais et des coûts, facilitée par une mobilisation d’instrumentations relativement connues et éprouvées.
Dans le cas des projets à rentabilité contrôlée, la même entreprise assume le risque de développement et d’exploitation et l’impact économique du projet n’est mesurable qu’une fois achevé le cycle de vie du produit (Gautier et Giard, 2000).
L’équipe-projet n’intervient qu’en phase de conception et peut intervenir simultanément sur les délais, les ressources et les spécifications qui détermineront la clientèle potentielle et la rentabilité du projet.
Pour définir les contours de cette clientèle potentielle, il lui faut mobiliser les différents experts de l’entreprise qui produisent des théories sur ce client virtuel: le marketing amont, mais aussi les fonctions design, commerciale ou la qualité.
Ces théories ne sont en général pas totalement concordantes, d’abord du fait du regard que ces différents experts posent sur les clients. Le commerçant s’intéresse au client dans son acte d’achat. Il en a une vision concrète et instantanée.
Le marketing est plus focalisé sur l’usage qui sera fait du produit. Il anticipe les évolutions de l’offre et de la demande à partir d’analyses rationnelles du marché et des clients actuels.
La démarche du designer est différente. Elle ne part pas à proprement parler du client mais de l’objet, et intègre plus ou moins explicitement une vision du client de demain, souvent en rupture avec ce qui est perceptible aujourd’hui.
L’image du client virtuel est aussi ambiguë car cette notion est plus complexe que certains slogans ne le laissent supposer. Quel est, par exemple, le client d’un nouveau médicament: le patient à qui il est administré, le médecin qui le prescritou la sécurité sociale qui le paye? Quel est le client d’un constructeur d’objets de grande série: l’utilisateur final ou le réseau de distribution?
L’identité et la variété des acteurs-projets étant désormais repérées, quelles sont les compétences requises pour exercer de telles fonctions?
Les compétences des acteurs-projets
Le succès d’un projet repose sur les compétences techniques et comportementales des acteurs-projets qui l’animent. L’identification de ces compétences nécessairement présentes dans une équipe-projet est donc un préalable à la GRH de ce personnel.
Le déroulement d’un projet à rentabilité contrôlé d’une certaine ampleur apparaît comme un concentré de tout ce qu’une entreprise vit sur quelques décennies: il faut recruter des collaborateurs, former et structurer une équipe, gérer sa croissance puis sa décroissance, mobiliser et stabiliser des réseaux extérieurs, gérer des périodes de crises, passer d’une phase où le marketing et la recherche dominent à une phase où l’industriel détient la clé de la réussite, négocier avec ceux qui seront les producteurs de demain…
Dès lors, tous les savoirs gestionnaires doivent logiquement être bien employés chez un manager de projet. Dans ce contexte, l’acteurprojet mobilise quatre types de compétences (Boudès, Charue-Duboc et Midler, 1997).
a) Maîtrise de la dimension instrumentale du pilotage de projet. Les organismes professionnels de normalisation et certification (PMI, AFITEP, IPMA…) associent à la gestion de projet (project control) la capacité à mobiliser efficacement les instrumentations d’analyse d’un projet et de maîtrise de ses délais et de ses coûts, alors que le management de projet (project management) se situe à un niveau plus stratégique.
Cette compétence instrumentale est nécessaire, même si les outils disponibles pour le pilotage économique des projets à rentabilité
contrôlée restent partiels, contingents et largement améliorables (contrairement à ceux des projets à coûts contrôlés).
Ce type de compétences instrumentales est habituellement exigé d’acteurs-projets qui ne sont, ni chefs de projet – métier ni directeur ou coordinateur de projet.
b) Maîtrise des champs techniques impliqués dans le projet. Une maîtrise minimale des principales techniques mises en œuvre dans la réalisation du projet est également nécessaire. Un acteur-projet purement gestionnaire ne saurait exister bien longtemps s’il ne peut débattre sur le fond avec les intervenants métiers qu’il coordonne.
Le chef de projet n’est évidemment pas un expert de tous les problèmes techniques débattus, mais il construit une partie de sa légitimité sur sa capacité à trancher et à faire trancher les questions techniques.
Les projets modernes se développant dans des réseaux d’organisations complexes, la capacité sociale à coordonner et influencer des acteurs de profils professionnels et de rattachements institutionnels variés, dans un contexte d’incertitude et d’irréversibilité fortes constitue un point capital pour le succès des projets.
Un chef de projet doit parvenir à mobiliser des acteurs par rapport auxquels il n’a pas forcément de pouvoir formel. Animer des équipes, organiser des réseaux, affronter les inévitables conflits d’intérêts, requiert des compétences particulières, différentes de celles liées à la maîtrise des outils de contrôle de projet.
Nous nous rallions à P. Leclair (1993) lorsqu’ilécrit: «Les gestionnaires de projets peuvent-ils être strictement des gestionnaires professionnels capables de gérer n’importe quel projet, qu’il soit de système d’information, d’ingénierie ou de construction?
Nous plaiderons que non, les situations d’entreprises – configuration organisationnelle et particularités de l’entreprise considérée – semblant trop prégnantes pour permettre la conception de chefs de projet tous-terrains».
c) Compréhension des spécificités du projet et adhésion à ses objectifs. Les théories sur le management de projet mettent l’accent sur l’importance du traitement des singularités des projets: le chef de projet, et plus généralement l’équipe, a pour rôle d’expliquer aux multiples intervenants le contexte spécifique de cette intervention, le sens qu’il faut lui donner, les priorités qu’il convient de privilégier…
La compétence sur le projet se construit ainsi dans son déroulement même, à mesure que les différents aspects sont explorés, que les compromis sont analysés et que la mémoire collective sur l’aventure singulière se constitue.
On est ici bien audelà d’une démarche d’application d’instrumentations standards puisque la compétence s’exprime dans la capacité à sélectionner et adapter les démarches en fonction de la cible et du contexte spécifiques du projet.
Au delà même d’une compréhension fine du projet, il est clair que l’adhésion à sa visée constitue, pour les membres d’une équipe-projet, une condition nécessaire pour avoir l’effet d’entraînement auprès des protagonistes plus lointains.
d) Compétence sociale de l’entrepreneur. Dans sa définition même, les missions projet ne se définissent pas par l’application de méthodes mais d’abord par une responsabilité de résultat.
Cette dimension «entrepreneuriale» de la compétence projet désigne une capacité à formuler les problèmes, à mobiliser les hommes et les méthodes en fonction d’une compréhension et d’une adhésion aux objectifs et au contexte singulier du projet.
Les ouvrages sur le management de projet insistent tous sur l’importance des compétences de communication et de leadership pour tenir un rôle qui ne peut guère se reposer sur une autorité formelle a priori (Briner, Geddes & Asting, 1993).
Le carnet d’adresses que le chef de projet a constitué au cours de sa carrière, ses dons spécifiques pour «vendre son projet» et négocier avec des acteurs clés leurs contributions constituent des ressources indispensables.
Les projets à coûts contrôlés présentent de nombreuses similitudes avec ce qui vient d’être présenté. Les compétences instrumentales sont toutefois particulièrement importantes pour la réussite d’un pilotage du projet à rentabilité contrôlée, comme l’illustre le tableau 3.
L’étendue et la diversité de ces compétences rendent très improbable leur réunion chez un seul individu. Il faut donc éviter la recherche du chef de projet providentiel omni-compétent et passer à la compétence collective de l’équipe-projet. La constitution des équipes projets exige
un dosage subtil de profils complémentaires, ce qui conduit à s’intéresser à la gestion des ressources humaines d’un projet